mercredi 24 décembre 2008

LES CONFESSIONS DE ST AUGUSTIN

LES CONFESSIONS DE ST AUGUSTIN

          Pour Frederick Van Fleteren[1], les Confessions sont l’un des principaux livres de St Augustin, un chef d’œuvre littéraire, théologique et philosophique. Cet ouvrage d’Augustin, le plus étudié au XXe siècle, continue à retenir l’attention des historiens, des philologues et des psychologues. Grâce à lui, nous connaissons mieux les épisodes de la jeunesse de St Augustin que ceux des grands hommes de l’Antiquité. Le récit de sa rencontre décisive avec le néo-platonisme, telle qu’elle est évoquée au livre VII des Confessions, a retenu l’attention des philosophes et des théologiens. La conversion au monachisme a intéressé les artistes, aussi bien que les théologiens et les littéraires de notre époque. Son attention aux états intérieurs de l’être humain et leur description a suscité l’intérêt des philosophes et des psychologues. Son usage de la rhétorique continue à être étudié à la fois en lui-même et comme un outil liturgique, littéraire et théologique.

          Bien que plusieurs livres revendiquent le titre du premier ouvrage littéraire "moderne", les Confessions contiennent, sans y prétendre, cette revendication dans leur titre, étant donné que c’est le premier livre qui explore largement l’état intérieur de l’esprit humain et les rapports mutuels de la grâce et de la volonté libre, des thèmes dominants dans l’histoire de la philosophie occidentale et de la théologie. Bien que des parties des Confessions aient pu être écrites et rendues publiques avant leur édition finale, il ne semble pas y avoir eu différents stades de rédaction de l’ouvrage. Pierre de Labriolle, un traducteur des Confessions, de l’Université de Poitiers pense que "Augustin acheva les Confessions dans les toutes dernières années du IVe siècle"[2]. Il est plus précis un peu plus loin: "(Elles peuvent être avec sécurité placées vers la fin de 397 ou au commencement de 398"[3].

          Le motif de la rédaction de cet ouvrage est discuté. Son but originel doit avoir été de décrire la conversion de St Augustin du manichéisme au christianisme, en raison des accusations donatistes selon lesquelles St Augustin était resté un crypto-manichéen, une accusation erronée que le pélagien Julien d'Eclane reprit quelques trente ans plus tard et que quelques-uns parmi les critiques comme Wundt reprennent au XXe siècle. D' après une théorie, St Augustin raconterait les commencements mêmes du monachisme en Afrique que nous retrouvons dans les livres VI et VIII des Confessions. Un autre motif est le suivant: St Augustin a, pour la première fois, pris conscience du rôle fondamental de la grâce divine pour le salut de l’être humain. Ainsi il utilise dans l’ouvrage des épisodes de sa propre vie pour illustrer ses thèses théologiques. Ce motif biographique, comme les autres, fournit l’occasion des Confessions. Toutefois, plusieurs motifs ont pu amener St Augustin à écrire ce livre.

          Le principe d’unification de l’ouvrage a également été l’objet de nombreuses recherches et de vifs débats durant la plus grande partie du XXe siècle. Certains auteurs ont suggéré une vision en deux parties (livres I-VIII, pré-conversion, livres IX-XIII, post-conversion), l’ouvrage est clairement divisé en trois parties: les livres I à IX traitent de la vie passée de St Augustin, le livre X de son état présent, les livres XI à XIII sont un commentaire de Gn 1,1-31. Il va de soi que St Augustin n’a jamais voulu écrire un classique de la littérature, et, par conséquent rechercher leur unité peut être vain. Cependant, la présence de certains thèmes montre que les Confessions peuvent avoir été un tout. C’est l’histoire de l’itinéraire vers la conversion, une odyssée de l’âme. La chute et le retour de l’âme à Dieu domine l’ensemble. Si l’ascension de l’âme vers Dieu est un thème central, d’autres chercheurs ont retenu la recherche et la découverte de la vérité, comme principe d’unification des Confessions. D' autres, encore, ont dit que la manière dont St Augustin traite de la mémoire au livre XI (2,26) comme impliquant une mémoire du passé, une intuition du présent et une anticipation de l' avenir, correspond aux trois divisions principales de l' ouvrage (livres I-X, X, XI-XIII). D’autres ont recherché le principe unificateur de l’ouvrage dans les différentes significations du terme confessions: confession du péché, confession comme témoignage de l’état présent, confession de foi et de louange. Bien que chacune de ces significations du terme confessio soit présente quand le terme est utilisé, même si la confession du péché prédomine dans les neuf premiers livres, la confession comme témoignage intervient au livre X et la confession de foi et de louange dans les livres XI à XIII.

          Les trois vices (la libido, la superbia et la curiosita) correspondent dans les Confessions à la division tripartite de l’âme et éclaire une manière possible d'envisager l’unité des Confessions. Il est possible que St Augustin ait donné le thème unificateur dans le premier paragraphe du livre, et peut être dans les mots les plus célèbres de l’œuvre: "Vous nous avez faits pour vous et notre cœur est inquiet jusqu'au ce qu’il se repose en vous."[4] A la fin de l'ouvrage, St Augustin lui-même n'a pas trouvé le repos, mais son exégèse de Gn 1,1-31 dit où le repos peut être trouvé; En fait, il ne peut avoir un, mais plusieurs thèses unificateurs de l'ouvrage, reliés entre eux dans tout le livre.

            De même, la nature précise de l’ouvrage a été l’objet de débats. Dans les dix premiers livres, St Augustin présente des événements déterminés de sa vie; Il ne dit pas quels ont été ses critères de sélection, mais il ne nous donne pas davantage des informations autobiographiques précises que le lecteur curieux aimerait connaître, tout comme il s’attarde à des questions qui ont peu d’intérêt biographique. En fait, St Augustin ne nous a pas donné une autobiographie au sens moderne. Il ne s’intéresse à l’autobiographie que dans la mesure où sa vie illustre une théologie anthropologique (ou une anthropologie théologique): la vie humaine est le produit des décisions libres, guidée par la grâce de Dieu jusqu' à son terme.

          Quelques commentateurs ont douté de l’historicité de certaines parties de l’ouvrage, en particulier de la conversion intellectuelle au livre VII et de la conversion morale au livre VIII. En fonction des affirmations de St Augustin et de ses principes d’exégèse, sa véracité ne peut pas être mise en doute. Au livre X, 1,1, il évoque son intention de dire la vérité en ces termes: <<Mais vous " vous avez aimé la vérité" puisque "celui qui réalise la vérité vient à la lumière". Je veux donc la réaliser dans mon cœur devant vous par les aveux que je fais, et devant un grand nombre de témoins par ce que j’écris ici-même. >>[5] Quelle que soit la signification du terme "vérité" dans ce contexte, ce passage plaide pour l’historicité de l’ouvrage. Ensuite, St Augustin choisit des événements dans sa vie et dans la vie des autres qui illustrent au mieux ses positions philosophiques et théologiques. Un tel choix ne s’oppose pas à l’historicité, il la justifie même. En cela le Prof. Assalé Aka-Bwassi Dominique a raison d’écrire ceci: " La réflexion d’Augustin sur le sens de l’histoire l'a sûrement conduit à une théologie de l'histoire qui établit que Dieu est au cœur de l'histoire des hommes. Mais c’est plus sûrement par la conviction moins augustinienne que Dieu est présent dans l'histoire de chaque homme que cette théologie elle-même a été possible."[6]

          Troisièmement, St Augustin nous dit souvent, conformément à l’exégèse paulinienne, qu’un sens symbolique, loin d’exclure les faits historiques, en dépend plutôt. L’exemple que St Paul prend de Sarah et d'Agar, d'Isaac et d'Ismaël[7] comme symboles de deux Testaments, indique cette harmonie entre la réalité et le symbole. Quatrièmement, St Augustin utilise une "forme littéraire" pour raconter les récits de conversion, dans les Confessions. Cette forme littéraire, il ne l’invente pas - en fait, c’est la base pour l' essentiel de la littérature ancienne et de l’écriture - mais il est le premier à l’appliquer à sa conversion. Une telle forme littéraire n’exclut pas l’historicité des événements racontés. Bien plutôt, elle indique comment St Augustin interprète les autres conversions à la lumière de la sienne. La réflexion. La réflexion sur sa propre conversion fournit une sorte de formule pour présenter les autres. De fait, son récit des événements est stylisé. Bien qu’il mette l’accent sur les choses et non sur le verbe, St Augustin est essentiellement un rhéteur. Il devait à peine connaître et par conséquent il n’a presque pas suivi les canons contemporains de la "méthode historique".

          Conformément à la nature de St Augustin comme "quelconque", les Confessions I et II décrivent la petite enfance de St Augustin - l’ouvrage suit les âges de l’homme, tels que nous les trouvons dans le monde ancien: infantia, pueritia, adulescens, juventus. Dans les deux livres, St Augustin est décrit comme pécheur. il est le fils prodigue partant loin de la maison paternelle. Il ne décrit pas les événements de son enfance à partir des souvenirs qu'il en a, mais plutôt en fonction de la réflexion sur la nature de la petite enfance et de l’enfance en général, comme il l'a observée chez d’autres enfants. Il en va de même pour l’adolescence. Le vol des poires est à peine un événement qui peut avoir un intérêt autobiographique. En fait, St Augustin s’intéresse beaucoup plus à une théologie biblique de la grâce qu’à une autobiographie. En  fonction de la remarque marginale du livre II, où St Augustin écrit: «Je les entendais se vanter de leurs vilenies et se glorifier d' autant plus qu'ils étaient plus infâmes; et j’aimais à faire comme eux, non seulement pour le plaisir, mais aussi par gloriole"[8](4), nous nous apercevons qu'il a inventé des histoires de prouesses sexuelles pour les raconter à ses camarades, car il n’avait rien à leur dire à l’époque. Nous pouvons penser qu’Augustin n’a pas été le grand pécheur qu'il dépeint. Le rhéteur africain et le théologien oppose constamment la misère humaine et la miséricorde divine.

Augustin évoque les principaux événements de sa vie comme des conversions dans les Confessions. Le passage du Livre III, 4, 7-9 est l’un d’entre eux. Il y rappelle sa lecture de l’exhortation (protreptique) de Cicéron à la philosophie : l’Hortensius, à l’âge de 18 ans au début de ses « études universitaires ». Les commentateurs ont été surpris par la réaction extraordinaire d’Augustin, le jeune génie, à la lecture d’un ouvrage mineur d’un philosophe secondaire. Mais à l’époque d’Augustin, il ne faut pas oublier que l’éducation se faisait essentiellement à partir de Cicéron. De plus, l’Hortensius apporte à Augustin un avertissement, au sens technique du terme : l’exhortation de Cicéron sert d’occasion à l’intervention de la grâce divine dans la vie d’Augustin. L’influence de Cicéron pour l’introduction à la vie philosophique a été durable pour Augustin. L’Hortensius a été le livre de référence à Cassiacum : Augustin a utilisé le livre qui l’avait tant marqué à l’âge de 18 ans comme un document pour enseigner aux étudiants du même âge l’expérience et la capacité de réflexion. Comme le livre est perdu, les ouvrages d’Augustin sont les principales sources pour retrouver des fragments ou extraits de l’Hortensius et ils jouent un rôle majeur dans toute tentative pour reconstituer l’ouvrage. Les catégories de pensée de Cicéron, en particulier le fait que tous recherchent le bonheur et que la philosophie est un chemin de vie dans la recherche de la vérité, restent marquées dans l’esprit d’Augustin jusqu’à la fin de sa vie. La rencontre de l’Hortensius a amené Augustin à lire la Bible, de la même manière que la rencontre des libri platonicorum, rapportée au livre VII des Confessions l’a amené à lire saint Paul. Toutefois, à l’âge de 18 ans, il s’éloigna de la Bible, car il trouvait que son style ne correspondait pas aux canons de la rhétorique cicéronienne.

Un tel orgueil intellectuel a amené Augustin au manichéisme, une religion orientale, fondée par Mani, qui disait qu’il était lui-même prophète et même l’Esprit Saint lui-même. Cette secte eut une grande influence sur les cercles aristocratiques du IVe siècle en Afrique du Nord. Si Augustin adhéra à la secte, où il resta comme auditeur pendant neuf à onze ans, c’était parce qu’elle prétendait lui donner une explication rationnelle du monde, indépendamment de la foi, ainsi qu’une théorie déterministe du mal. Quelque neuf ans plus tard, demeurant fidèle à ses principes, Augustin rejeta le manichéisme précisément parce qu’il ne pouvait pas lui donner les explications promises. A son époque, et même aujourd’hui, Augustin est accusé de crypto-manichéisme, essentiellement parce qu’il opte de manière ambiguë pour le dualisme. En fait, il y avait des manichéens clandestins à l’intérieur de l’Eglise catholique, mais Augustin n’en faisait pas partie. Il s’opposa, au contraire, à de telles accusations dans les Confessions et dans les autres ouvrages. Le manichéisme présenta la mythologie philosophique, la méthodologie théologique et la pseudo-exégèse scripturaire qu’Augustin s’est attaché à réfuter tout au long de sa carrière et en particulier dans les quinze années qui ont suivi sa conversion au christianisme. Jusqu’au XXe siècle, Augustin était la principale source pour connaître le manichéisme. Aujourd’hui diverses sources confirment qu’il a donné une description juste, bien qu’incomplète de la pensée manichéenne. Une telle description avait pour fonction chez Augustin de réfuter le manichéisme, non d’en donner un exposé théologique.

Pendant le temps qu’il passa à Carthage, puis à Rome et à Milan, Augustin vivait avec une femme de Numidie, dont le nom nous reste inconnu. Elle lui donna son fils bien-aimé Adéodat. Comme Augustin et cette femme n’était pas du même rang social, ils ne pouvaient se marier d’après la loi romaine. Cependant, une femme vivant ainsi avait des droits d’après la loi - elle était « civilement » sa femme. Elle aimait certainement Augustin et lui resta fidèle, faisant vœu, quand il lui demanda de partir, de ne jamais en aimer un autre. Rétrospectivement, Augustin critique sa recherche du plaisir pendant cette alliance. Mais il n’indique pas plus dans les Confessions que dans ses autres ouvrages que l’attitude critique qu’il aura par rapport à cette relation l’a orienté vers une éthique sexuelle puritaine.

En quittant le manichéisme, Augustin en vint pour un temps assez bref au scepticisme. Bien qu’il ait connu l’académisme de Cicéron, il ne fut pas un sceptique comme les académiciens ni en théorie, un peu comme Descartes, mais après s’être engoué pour le manichéisme, il hésitait à donner son assentiment intellectuel à autre chose, afin de ne pas en venir aux mêmes erreurs. Il n’en demeure pas moins que le scepticisme de cette période se cache en partie derrière le Contra academicos. La réfutation du scepticisme est un thème récurrent dans les écrits d’Augustin.

Augustin fut un enseignant réputé, tout d’abord à Thagaste, sa ville natale, ensuite à Carthage, puis à Rome. De Rome, il partit pour Milan où grâce à l’appui des manichéens, il obtint le poste de rhéteur impérial. Là il rencontra Ambroise, une rencontre qui fut décisive pour Augustin qu’historique pour le christianisme. Par intérêt professionnel, il vint écouter les sermons d’Ambroise, mais il est probable que son intérêt allait au-delà de la rhétorique. Augustin apprit par Ambroise que le christianisme n’accepte pas les doctrines des manichéens et leurs revendications. Ambroise lui montra surtout l’intérêt de l’exégèse allégorique. Ainsi comprit-il la nature spirituelle de l’image de Dieu en l’homme et l’origine du mal, qui réside, non dans un principe mauvais. A milan, Augustin fut également introduit dans un groupe informel de lettrés, le cercle milanais, dont beaucoup étaient des intellectuels chrétiens. Leur but était de comprendre les mystères chrétiens avec l’aide du néoplatonisme. Marius Victorinus était leur modèle. C’était un rhéteur s’intéressant à la philosophie qui s’est tardivement converti au christianisme, alors qu’il venait des cercles païens, influencés par Porphyre. On ne sait pas quels sermons d’Ambroise Augustin avait entendus, mais l’influence d’Ambroise sur Augustin demeure certaine, forte et durable, depuis ce moment jusqu’à la fin de la polémique pélagienne.

Les livres VII et VIII des Confessions sont les deux livres les plus étudiés de l’ouvrage. Bien que schématique, la division entre la conversion intellectuelle et la conversion morale pourrait, comme l’a montré Augustin lui-même, se répartir ainsi : le livre VII correspond à la conversion intellectuelle, le livre VIII à la conversion morale. Le livre VII des Confessions a été important pour les chercheurs du XXe siècle, parce que Augustin y évoque sa rencontre décisive avec les platoniciens. Augustin pensait, au départ, que plusieurs théories néoplatoniciennes correspondaient à l’enseignement chrétien. Mais il décrit les théories qu’il a lues, dans des livres qui lui avaient été données peut-être par un néoplatonicien milanais non chrétien, en citant le Prologue de l’évangile de Jean. L’utilisation d’un tel procédé littéraire rend difficile l’identification des traités qu’il a lus. Ailleurs, on apprend que ces livres étaient nombreux mais de grande inspiration. La plupart des chercheurs contemporains concluent qu’Augustin a lu Plotin et Porphyre peut-être une simplification supplémentaire puisque Porphyre est l’éditeur et le commentateur de Plotin.

Quoi qu’il en soit, à partir de sa lecture et de sa comparaison du platonisme avec l’Ecriture, Augustin commence à affirmer ce qu’il a maintenu pendant toute sa vie : seul le christianisme réalise les aspirations au bonheur des philosophes antiques. Le mieux qu’ait pu faire la sagesse antique, c’est d’avoir envisagé la fin de l’humanité : l’union à Dieu. Les philosophes n’ont pas trouvé les moyens pour atteindre cette fin : ils ont vu la patrie, mais non pas la voie. Le Christ est le seul chemin par lequel l’être humain peut accéder au salut. Si le néoplatonisme et le christianisme semblent enseigner des doctrines analogues, en réalité, il n’en va pas du tout ainsi. Cela apparaît nettement à propos de la Trinité, de la métaphysique de l’être et du non-être, du mal, de la Providence divine, de l’omniprésence de Dieu et de la théorie épistémologique de l’illumination. Mais, surtout, ce qu’Augustin n’a pas trouvé chez les néoplatoniciens, c’est l’incarnation du Christ et le salut par cette incarnation. Comme résultat direct de la lecture de ces livres, Augustin a eu quelques expériences spirituelles.

Le livre VIII des Confessions, traitant de la conversion morale de St Augustin, est le sommet de l'ouvrage, le dénouement de la crise. Presque tout cycle pictural traitant de la vie de St Augustin contient une reproduction de l'épisode du jardin de Milan. La scène dépeint St Augustin pleurant sous un figuier. Il entend une voix partie de la maison voisine, une voix de garçon ou de jeune fille qui chantait et répétait à diverses reprises "Prends, lis! Prends, lis!"[9]. Alors il reçoit cela comme un avertissement divin, au sens technique augustinien du terme, à prendre le livre des Ecritures. Que lit-il? Un passage de l'épître aux Romains de St Paul: "Ne vivez pas les festins, dans les excès de vin, ni dans les voluptés impudiques, ni dans les querelles et les jalousies, mais revêtez-vous de Notre Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à contenter la chair dans ses convoitises."[10]. Une bonne partie de la recherche du XXe siècle a été occupée par la controverse sur la nature de la conversion de St Augustin. Etait-ce au néoplatonisme? Etait-ce au christianisme?

          Pierre Courcelle[11] montre que cette conversion a deux aspects. Il y a une conversion réelle à ce moment de la vie  de St Augustin, nous ne pouvons en douter. Il s'est converti à la vie chrétienne qu'il mènera à Cassicianum et à Thagaste. Il est hors de doute que les platoniciens chrétiens de Milan ont infléchi son idée de christianisme et son idéal chrétien. La vie du sage antique, telle que la décrit Cicéron et le néoplatonisme, a également joué un rôle. La vie monastique telle qu'il a commencé à la connaître à Milan, a également marqué sa conversion. A partir de ces expériences, St Augustin a développé son idéal chrétien de vie commune, fondé sur la vie des premières communautés chrétiennes, comme nous le voyons dans les Actes des Apôtres et la vie des communautés philosophiques, telles qu'elles étaient décrites dans l'Hortensius.

          Au livre IX des Confessions, St Augustin décrit la période qui va de sa conversion à la mort, à la fin de 387. Le sommet de ce livre est "la vison d'Ostie"[12] Le baptême de St Augustin est à peine mentionné, à la différence de la vision de Saint Augustin et de Sainte Monique qui est évoquée avec beaucoup de détails. Toute une controverse s'est développée pour savoir si cette vision d'Ostie était mystique. Nous pensons pour notre part que St Augustin nous a donné une des descriptions de son expérience mystique dont la nature est à déterminer: St Augustin a eu des intuitions brèves, directes de Dieu. Mais il a été déçu et recherche une vision durable avec l'aide de Dieu en sa vie. En raison d'une lecture précise de l'épître de Paul aux Galates, il a renoncé à ce projet au moment des Confessions. Beaucoup de ses premiers ouvrages à Cassiciacum, à Rome et à Thagaste sont à comprendre comme des purifications intellectuelles préparant l'ascension de l'esprit vers Dieu. Les premiers travaux sur l'âme consistent à la tourner vers l'intérieur pour se connaître elle-même. Le terme mystique est rarement utilisé par St Augustin et jamais dans le sens de la mystique espagnole du XVIe siècle, et pourtant St Augustin a assurément une saisie intuitive de la nature de Dieu.

          Bien que le livre X des Confessions constitue une transition littéraire entre les neuf premiers livres et les trois derniers, il est signifiant en lui-même: St Augustin témoigne de son état d'esprit actuel. Si les Confessions, dans leur ensemble, peuvent être décrites comme une ascension de l'esprit vers Dieu, alors le livre X est un microcosme de tout l'ouvrage. Après une brève introduction, St Augustin va de la création matérielle à son moi. Il distingue le moi humain à partir d'une analyse précise, mais longue de la mémoire dans sa quête de bonheur. Il décrit ensuite ses tentations comme évêque à partir de la triple concupiscence. Ainsi, le livre se termine par une réflexion sotériologique sur le Christ comme véritable médiateur entre Dieu et les hommes. Et Augustin peut ainsi laisser épancher son cœur en ces termes: " Tard je t'ai aimée, Ô Beauté si ancienne et si neuve, tard je t'ai aimée! Mais quoi! Tu étais au dedans de moi, et j'étais, moi, en dehors de moi-même! Et c'est au dehors que je te cherchais; je me ruais, dans ma laideur, sur la grâce de tes créatures."[13]

          Les livres XI à XIII sont une exégèse essentiellement allégorique, de Gn 1,1-31. Ces trois livres peuvent constituer le sommet de l'ascension vers Dieu dans la mesure où les hommes peuvent la connaître en cette vie. Les élévations des livres VII et IX des Confessions se terminent par une vision fugitive, partielle. Mais la connaissance que les hommes ont de Dieu en ce monde est "en miroir et en énigme et non face à face." Nous trouvons dans ce livre sa réflexion sur le temps (une distension de l'âme), sur la Création, la Trinité, les différents sens et interprétations des textes bibliques et sur l'amour comme poids de l'âme, par lequel l'âme trouve sa place dans l'univers.

Dr AKE Patrice Jean

Maître-Assistant de Philosophie

patrice.ake@ucocody.ci


[1] VAN FLETEREN (Frederick).- "Les Confessions" in Encyclopedia St Augustin. La Méditerranée et l' Europe. IVe-XXIe siècle (Paris, Cerf 2005), pp. 324-331

[2] DE LABRIOLLE(Pierre).- Introduction aux Confessions (Paris, Belles Lettres 1925), p. V

[3] DE LABRIOLLE(Pierre).- Introduction aux Confessions (Paris, Belles Lettres 1925), p. V

[4] AUGUSTIN(St).- Confessions, Livre I, I, 1 (Paris, Belles Lettres 1925)

[5] AUGUSTIN(St).- Confessions X, 1,1 (Paris, Belles Lettres 1926)

[6] ASSALE AKA-BWASSI Dominique.- St Augustin et la théorie de l’historicité (Abidjan, CRDI 2003), p. 1

[7] Ga 4, 22-24

[8] AUGUSTIN(St).- Confessions II, 3,7 (Paris, Belles Lettres 1926)

[9] AUGUSTIN(St).- Confessions VIII,12,29, (Paris, Belles Lettres 1925)

[10] Rm 13,13

[11] COURCELLE(Pierre).- Les Confessions de la tradition littéraire: antécédents et postérité. (Paris, Etudes augustiniennes 1963)

[12] AUGUSTIN(St).- Confessions IX,10,23, (Paris, Belles Lettres 1925)

[13] AUGUSTIN(St).- Confessions X,27,38, (Paris, Belles Lettres 1925)

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