samedi 27 décembre 2008

PHILOSOPHIE ET REVELATION

PHILOSOPHIE ET REVELATION

Par Dr AKE Patrice Jean, Maître-Assistant de Philosophie à l’UFR-SHS de l’Université de Cocody (Abidjan, Côte d’Ivoire), patriceake@ucocody.ci

INTRODUCTION

Dans son sens le plus général, la philosophie consiste en la prétention de connaître et d’enseigner la vérité sur les choses[1]. Elle cherche à saisir la masse des choses données comme un Tout ; c’est-à-dire qu’elle veut y découvrir un ensemble raisonnablement organisé. Mais comment les grands philosophes sont-ils arrivés à la philosophie ? L’hypothèse que nous voulons privilégier dans cet article est le suivant : la philosophie tient son savoir d’une révélation. Nous voulons entendre le concept théologique de révélation dans le sens de P. Eicher qui le présente, à l’intérieur de la théologie, comme une catégorie fondamentale herméneutique, c’est-à-dire comme un critère ultime d’interprétation par rapport à la tradition de la foi chrétienne, à son caractère salvifique, à sa formation normative, et à son homogénéité[2]. Le mot révélation signifie donc la condition de la foi et en même temps l’inverse, car finalement la notion de révélation peut aussi désigner, selon Fries, la totalité de la foi chrétienne et s’entendre à juste titre d’une notion de théologie transcendantale[3].

La philosophie qui reçoit son enseignement d’une révélation reste dans la ligne des anciennes théogonies. Ainsi, nous voulons réfléchir à partir du récit de Parménide, qui raconte que le char du soleil l’a conduit à la déesse qui lui a tout enseigné. Son poème sur l’être, n’est à strictement parler, rien d’autre qu’une révélation de la déesse, comme celui d’Hésiode n’est que le chant des Muses.

LA REVELATION SUR L’ETRE

La révélation a fait irruption dans la philosophie dès son origine et ce, depuis l’époque de Parménide d’Elée, 500 ans avant Jésus-Christ. Dans son unique traité sur la Nature, rapporté par Sextus Empiricus et Simplicius, le philosophe raconte comment il a été reçu par la déesse : « La divinité qui porte l’homme qui sait à travers toutes les cités[4], » et « la déesse me reçut avec bienveillance et prenant ma main droite dans la sienne, m’adressa ces paroles[5]. » Et c’est ainsi que la déesse fait cette révélation à Parménide en disant : « Jeune homme, toi qui es venu à ma demeure, en compagnie d’immortels conducteurs de chars menant les cavales qui t’ont porté, salut ! Ce n’est pas un mauvais sort qui t’a conduit sur ce chemin bien éloigné de celui que les pas des hommes empruntent couramment, mais le droit et la justice. Il convient que tu apprennes toutes choses, aussi bien le cœur inébranlable de la vérité bien arrondie que les opinions des mortels, dans lesquelles on ne peut pas vraiment mettre sa confiance. Néanmoins, tu apprendras cela, comment ce qui est cru devrait être vraiment, pénétrant toutes choses de part en part[6]. »

Cette révélation qui est la connaissance d’une vérité que le commun des mortels ne peut atteindre, vient d’une tradition chamanistique. En effet, le voyage de Parménide vers la divinité rappelle le parcours magique des chamans. Les Grecs, aux dires de Dodds, ont été influencés par la culture chamanistique d’Asie centrale[7]. Cet auteur accorde dans son ouvrage une large part aux rêves. Les poèmes homériques, écrits au VIIIe et VIIe siècle constituent le point de départ de l’analyse ; on y trouve de nombreux récits de rêves dans lesquels un personnage nommé Oneiros, dieu ou héros mythique, entre dans la chambre du dormeur et délivre un message. Plus l’homme est important, plus le message aura valeur d’oracles. Dans d’autres récits, le rêve est une vision qui nécessite une interprétation. Comme la plupart des autres peuples, les Grecs font une distinction entre ceux qui sont vrais et passent par la « porte de corne », et ceux qui trompent et passent par « la porte d’ivoire ». Le rêve grec présente un caractère particulier : il est vu par un dormeur passif. Le rêve homérique est envoyé au dormeur par un autre monde, tout aussi objectif que celui de la veille, celui des dieux et des héros : il est reçu comme un présent et est en cela recherché.

Où faut-il chercher une autre preuve que celle que nous trouvons dans le poème de Parménide sur l’existence d’une tradition chamanistique dans la philosophie grecque antique ? Ce qui importe ici surtout, c’est la divinité qui commence par spécifier les seules voies de recherche. Il est important de relever en outre le rôle primordial que joue la divinité dans la pensée philosophique à l’origine. La déesse est là pour désigner les alternatives logiques et cohérentes parmi lesquels les chercheurs rationnels doivent choisir.

A suivre….


[1] GIGON(Olof).- Les Grands problèmes de la philosophie antique (Paris, Payot, 1961), p. 11

[2] EICHER(P.).- Offenbarung. Prinzip neuzitlicher Theologie, (München, 1977), p. 48.

[3] FRIES(H.).- MySal. 1, (Paris, Cerf, 1965), p. 159.

[4] EMPIRICUS(Sextus).- Adversus Mathematicos VII, 3 ; SIMPLICIUS.- In Aristotelis Physicorum libros, de Caelo 557, 25ss (Comment. In Arist. Graeca, éd. De l’Académie de Berlin, H. Diels, 1882.

[5] EMPIRICUS(Sextus).- Adversus Mathematicos VII, 3 ; SIMPLICIUS.- In Aristotelis Physicorum libros, de Caelo 557, 25ss (Comment. In Arist. Graeca, éd. De l’Académie de Berlin, H. Diels, 1882.

[6] EMPIRICUS(Sextus).- Adversus Mathematicos VII, 3 ; SIMPLICIUS.- In Aristotelis Physicorum libros, de Caelo 557, 25ss (Comment. In Arist. Graeca, éd. De l’Académie de Berlin, H. Diels, 1882.

[7] DODDS (Eric, Robertson).- Les Grecs et l’irrationnel (Paris, Champs, Flammarion 1977)

mercredi 24 décembre 2008

LES CONFESSIONS DE ST AUGUSTIN

LES CONFESSIONS DE ST AUGUSTIN

          Pour Frederick Van Fleteren[1], les Confessions sont l’un des principaux livres de St Augustin, un chef d’œuvre littéraire, théologique et philosophique. Cet ouvrage d’Augustin, le plus étudié au XXe siècle, continue à retenir l’attention des historiens, des philologues et des psychologues. Grâce à lui, nous connaissons mieux les épisodes de la jeunesse de St Augustin que ceux des grands hommes de l’Antiquité. Le récit de sa rencontre décisive avec le néo-platonisme, telle qu’elle est évoquée au livre VII des Confessions, a retenu l’attention des philosophes et des théologiens. La conversion au monachisme a intéressé les artistes, aussi bien que les théologiens et les littéraires de notre époque. Son attention aux états intérieurs de l’être humain et leur description a suscité l’intérêt des philosophes et des psychologues. Son usage de la rhétorique continue à être étudié à la fois en lui-même et comme un outil liturgique, littéraire et théologique.

          Bien que plusieurs livres revendiquent le titre du premier ouvrage littéraire "moderne", les Confessions contiennent, sans y prétendre, cette revendication dans leur titre, étant donné que c’est le premier livre qui explore largement l’état intérieur de l’esprit humain et les rapports mutuels de la grâce et de la volonté libre, des thèmes dominants dans l’histoire de la philosophie occidentale et de la théologie. Bien que des parties des Confessions aient pu être écrites et rendues publiques avant leur édition finale, il ne semble pas y avoir eu différents stades de rédaction de l’ouvrage. Pierre de Labriolle, un traducteur des Confessions, de l’Université de Poitiers pense que "Augustin acheva les Confessions dans les toutes dernières années du IVe siècle"[2]. Il est plus précis un peu plus loin: "(Elles peuvent être avec sécurité placées vers la fin de 397 ou au commencement de 398"[3].

          Le motif de la rédaction de cet ouvrage est discuté. Son but originel doit avoir été de décrire la conversion de St Augustin du manichéisme au christianisme, en raison des accusations donatistes selon lesquelles St Augustin était resté un crypto-manichéen, une accusation erronée que le pélagien Julien d'Eclane reprit quelques trente ans plus tard et que quelques-uns parmi les critiques comme Wundt reprennent au XXe siècle. D' après une théorie, St Augustin raconterait les commencements mêmes du monachisme en Afrique que nous retrouvons dans les livres VI et VIII des Confessions. Un autre motif est le suivant: St Augustin a, pour la première fois, pris conscience du rôle fondamental de la grâce divine pour le salut de l’être humain. Ainsi il utilise dans l’ouvrage des épisodes de sa propre vie pour illustrer ses thèses théologiques. Ce motif biographique, comme les autres, fournit l’occasion des Confessions. Toutefois, plusieurs motifs ont pu amener St Augustin à écrire ce livre.

          Le principe d’unification de l’ouvrage a également été l’objet de nombreuses recherches et de vifs débats durant la plus grande partie du XXe siècle. Certains auteurs ont suggéré une vision en deux parties (livres I-VIII, pré-conversion, livres IX-XIII, post-conversion), l’ouvrage est clairement divisé en trois parties: les livres I à IX traitent de la vie passée de St Augustin, le livre X de son état présent, les livres XI à XIII sont un commentaire de Gn 1,1-31. Il va de soi que St Augustin n’a jamais voulu écrire un classique de la littérature, et, par conséquent rechercher leur unité peut être vain. Cependant, la présence de certains thèmes montre que les Confessions peuvent avoir été un tout. C’est l’histoire de l’itinéraire vers la conversion, une odyssée de l’âme. La chute et le retour de l’âme à Dieu domine l’ensemble. Si l’ascension de l’âme vers Dieu est un thème central, d’autres chercheurs ont retenu la recherche et la découverte de la vérité, comme principe d’unification des Confessions. D' autres, encore, ont dit que la manière dont St Augustin traite de la mémoire au livre XI (2,26) comme impliquant une mémoire du passé, une intuition du présent et une anticipation de l' avenir, correspond aux trois divisions principales de l' ouvrage (livres I-X, X, XI-XIII). D’autres ont recherché le principe unificateur de l’ouvrage dans les différentes significations du terme confessions: confession du péché, confession comme témoignage de l’état présent, confession de foi et de louange. Bien que chacune de ces significations du terme confessio soit présente quand le terme est utilisé, même si la confession du péché prédomine dans les neuf premiers livres, la confession comme témoignage intervient au livre X et la confession de foi et de louange dans les livres XI à XIII.

          Les trois vices (la libido, la superbia et la curiosita) correspondent dans les Confessions à la division tripartite de l’âme et éclaire une manière possible d'envisager l’unité des Confessions. Il est possible que St Augustin ait donné le thème unificateur dans le premier paragraphe du livre, et peut être dans les mots les plus célèbres de l’œuvre: "Vous nous avez faits pour vous et notre cœur est inquiet jusqu'au ce qu’il se repose en vous."[4] A la fin de l'ouvrage, St Augustin lui-même n'a pas trouvé le repos, mais son exégèse de Gn 1,1-31 dit où le repos peut être trouvé; En fait, il ne peut avoir un, mais plusieurs thèses unificateurs de l'ouvrage, reliés entre eux dans tout le livre.

            De même, la nature précise de l’ouvrage a été l’objet de débats. Dans les dix premiers livres, St Augustin présente des événements déterminés de sa vie; Il ne dit pas quels ont été ses critères de sélection, mais il ne nous donne pas davantage des informations autobiographiques précises que le lecteur curieux aimerait connaître, tout comme il s’attarde à des questions qui ont peu d’intérêt biographique. En fait, St Augustin ne nous a pas donné une autobiographie au sens moderne. Il ne s’intéresse à l’autobiographie que dans la mesure où sa vie illustre une théologie anthropologique (ou une anthropologie théologique): la vie humaine est le produit des décisions libres, guidée par la grâce de Dieu jusqu' à son terme.

          Quelques commentateurs ont douté de l’historicité de certaines parties de l’ouvrage, en particulier de la conversion intellectuelle au livre VII et de la conversion morale au livre VIII. En fonction des affirmations de St Augustin et de ses principes d’exégèse, sa véracité ne peut pas être mise en doute. Au livre X, 1,1, il évoque son intention de dire la vérité en ces termes: <<Mais vous " vous avez aimé la vérité" puisque "celui qui réalise la vérité vient à la lumière". Je veux donc la réaliser dans mon cœur devant vous par les aveux que je fais, et devant un grand nombre de témoins par ce que j’écris ici-même. >>[5] Quelle que soit la signification du terme "vérité" dans ce contexte, ce passage plaide pour l’historicité de l’ouvrage. Ensuite, St Augustin choisit des événements dans sa vie et dans la vie des autres qui illustrent au mieux ses positions philosophiques et théologiques. Un tel choix ne s’oppose pas à l’historicité, il la justifie même. En cela le Prof. Assalé Aka-Bwassi Dominique a raison d’écrire ceci: " La réflexion d’Augustin sur le sens de l’histoire l'a sûrement conduit à une théologie de l'histoire qui établit que Dieu est au cœur de l'histoire des hommes. Mais c’est plus sûrement par la conviction moins augustinienne que Dieu est présent dans l'histoire de chaque homme que cette théologie elle-même a été possible."[6]

          Troisièmement, St Augustin nous dit souvent, conformément à l’exégèse paulinienne, qu’un sens symbolique, loin d’exclure les faits historiques, en dépend plutôt. L’exemple que St Paul prend de Sarah et d'Agar, d'Isaac et d'Ismaël[7] comme symboles de deux Testaments, indique cette harmonie entre la réalité et le symbole. Quatrièmement, St Augustin utilise une "forme littéraire" pour raconter les récits de conversion, dans les Confessions. Cette forme littéraire, il ne l’invente pas - en fait, c’est la base pour l' essentiel de la littérature ancienne et de l’écriture - mais il est le premier à l’appliquer à sa conversion. Une telle forme littéraire n’exclut pas l’historicité des événements racontés. Bien plutôt, elle indique comment St Augustin interprète les autres conversions à la lumière de la sienne. La réflexion. La réflexion sur sa propre conversion fournit une sorte de formule pour présenter les autres. De fait, son récit des événements est stylisé. Bien qu’il mette l’accent sur les choses et non sur le verbe, St Augustin est essentiellement un rhéteur. Il devait à peine connaître et par conséquent il n’a presque pas suivi les canons contemporains de la "méthode historique".

          Conformément à la nature de St Augustin comme "quelconque", les Confessions I et II décrivent la petite enfance de St Augustin - l’ouvrage suit les âges de l’homme, tels que nous les trouvons dans le monde ancien: infantia, pueritia, adulescens, juventus. Dans les deux livres, St Augustin est décrit comme pécheur. il est le fils prodigue partant loin de la maison paternelle. Il ne décrit pas les événements de son enfance à partir des souvenirs qu'il en a, mais plutôt en fonction de la réflexion sur la nature de la petite enfance et de l’enfance en général, comme il l'a observée chez d’autres enfants. Il en va de même pour l’adolescence. Le vol des poires est à peine un événement qui peut avoir un intérêt autobiographique. En fait, St Augustin s’intéresse beaucoup plus à une théologie biblique de la grâce qu’à une autobiographie. En  fonction de la remarque marginale du livre II, où St Augustin écrit: «Je les entendais se vanter de leurs vilenies et se glorifier d' autant plus qu'ils étaient plus infâmes; et j’aimais à faire comme eux, non seulement pour le plaisir, mais aussi par gloriole"[8](4), nous nous apercevons qu'il a inventé des histoires de prouesses sexuelles pour les raconter à ses camarades, car il n’avait rien à leur dire à l’époque. Nous pouvons penser qu’Augustin n’a pas été le grand pécheur qu'il dépeint. Le rhéteur africain et le théologien oppose constamment la misère humaine et la miséricorde divine.

Augustin évoque les principaux événements de sa vie comme des conversions dans les Confessions. Le passage du Livre III, 4, 7-9 est l’un d’entre eux. Il y rappelle sa lecture de l’exhortation (protreptique) de Cicéron à la philosophie : l’Hortensius, à l’âge de 18 ans au début de ses « études universitaires ». Les commentateurs ont été surpris par la réaction extraordinaire d’Augustin, le jeune génie, à la lecture d’un ouvrage mineur d’un philosophe secondaire. Mais à l’époque d’Augustin, il ne faut pas oublier que l’éducation se faisait essentiellement à partir de Cicéron. De plus, l’Hortensius apporte à Augustin un avertissement, au sens technique du terme : l’exhortation de Cicéron sert d’occasion à l’intervention de la grâce divine dans la vie d’Augustin. L’influence de Cicéron pour l’introduction à la vie philosophique a été durable pour Augustin. L’Hortensius a été le livre de référence à Cassiacum : Augustin a utilisé le livre qui l’avait tant marqué à l’âge de 18 ans comme un document pour enseigner aux étudiants du même âge l’expérience et la capacité de réflexion. Comme le livre est perdu, les ouvrages d’Augustin sont les principales sources pour retrouver des fragments ou extraits de l’Hortensius et ils jouent un rôle majeur dans toute tentative pour reconstituer l’ouvrage. Les catégories de pensée de Cicéron, en particulier le fait que tous recherchent le bonheur et que la philosophie est un chemin de vie dans la recherche de la vérité, restent marquées dans l’esprit d’Augustin jusqu’à la fin de sa vie. La rencontre de l’Hortensius a amené Augustin à lire la Bible, de la même manière que la rencontre des libri platonicorum, rapportée au livre VII des Confessions l’a amené à lire saint Paul. Toutefois, à l’âge de 18 ans, il s’éloigna de la Bible, car il trouvait que son style ne correspondait pas aux canons de la rhétorique cicéronienne.

Un tel orgueil intellectuel a amené Augustin au manichéisme, une religion orientale, fondée par Mani, qui disait qu’il était lui-même prophète et même l’Esprit Saint lui-même. Cette secte eut une grande influence sur les cercles aristocratiques du IVe siècle en Afrique du Nord. Si Augustin adhéra à la secte, où il resta comme auditeur pendant neuf à onze ans, c’était parce qu’elle prétendait lui donner une explication rationnelle du monde, indépendamment de la foi, ainsi qu’une théorie déterministe du mal. Quelque neuf ans plus tard, demeurant fidèle à ses principes, Augustin rejeta le manichéisme précisément parce qu’il ne pouvait pas lui donner les explications promises. A son époque, et même aujourd’hui, Augustin est accusé de crypto-manichéisme, essentiellement parce qu’il opte de manière ambiguë pour le dualisme. En fait, il y avait des manichéens clandestins à l’intérieur de l’Eglise catholique, mais Augustin n’en faisait pas partie. Il s’opposa, au contraire, à de telles accusations dans les Confessions et dans les autres ouvrages. Le manichéisme présenta la mythologie philosophique, la méthodologie théologique et la pseudo-exégèse scripturaire qu’Augustin s’est attaché à réfuter tout au long de sa carrière et en particulier dans les quinze années qui ont suivi sa conversion au christianisme. Jusqu’au XXe siècle, Augustin était la principale source pour connaître le manichéisme. Aujourd’hui diverses sources confirment qu’il a donné une description juste, bien qu’incomplète de la pensée manichéenne. Une telle description avait pour fonction chez Augustin de réfuter le manichéisme, non d’en donner un exposé théologique.

Pendant le temps qu’il passa à Carthage, puis à Rome et à Milan, Augustin vivait avec une femme de Numidie, dont le nom nous reste inconnu. Elle lui donna son fils bien-aimé Adéodat. Comme Augustin et cette femme n’était pas du même rang social, ils ne pouvaient se marier d’après la loi romaine. Cependant, une femme vivant ainsi avait des droits d’après la loi - elle était « civilement » sa femme. Elle aimait certainement Augustin et lui resta fidèle, faisant vœu, quand il lui demanda de partir, de ne jamais en aimer un autre. Rétrospectivement, Augustin critique sa recherche du plaisir pendant cette alliance. Mais il n’indique pas plus dans les Confessions que dans ses autres ouvrages que l’attitude critique qu’il aura par rapport à cette relation l’a orienté vers une éthique sexuelle puritaine.

En quittant le manichéisme, Augustin en vint pour un temps assez bref au scepticisme. Bien qu’il ait connu l’académisme de Cicéron, il ne fut pas un sceptique comme les académiciens ni en théorie, un peu comme Descartes, mais après s’être engoué pour le manichéisme, il hésitait à donner son assentiment intellectuel à autre chose, afin de ne pas en venir aux mêmes erreurs. Il n’en demeure pas moins que le scepticisme de cette période se cache en partie derrière le Contra academicos. La réfutation du scepticisme est un thème récurrent dans les écrits d’Augustin.

Augustin fut un enseignant réputé, tout d’abord à Thagaste, sa ville natale, ensuite à Carthage, puis à Rome. De Rome, il partit pour Milan où grâce à l’appui des manichéens, il obtint le poste de rhéteur impérial. Là il rencontra Ambroise, une rencontre qui fut décisive pour Augustin qu’historique pour le christianisme. Par intérêt professionnel, il vint écouter les sermons d’Ambroise, mais il est probable que son intérêt allait au-delà de la rhétorique. Augustin apprit par Ambroise que le christianisme n’accepte pas les doctrines des manichéens et leurs revendications. Ambroise lui montra surtout l’intérêt de l’exégèse allégorique. Ainsi comprit-il la nature spirituelle de l’image de Dieu en l’homme et l’origine du mal, qui réside, non dans un principe mauvais. A milan, Augustin fut également introduit dans un groupe informel de lettrés, le cercle milanais, dont beaucoup étaient des intellectuels chrétiens. Leur but était de comprendre les mystères chrétiens avec l’aide du néoplatonisme. Marius Victorinus était leur modèle. C’était un rhéteur s’intéressant à la philosophie qui s’est tardivement converti au christianisme, alors qu’il venait des cercles païens, influencés par Porphyre. On ne sait pas quels sermons d’Ambroise Augustin avait entendus, mais l’influence d’Ambroise sur Augustin demeure certaine, forte et durable, depuis ce moment jusqu’à la fin de la polémique pélagienne.

Les livres VII et VIII des Confessions sont les deux livres les plus étudiés de l’ouvrage. Bien que schématique, la division entre la conversion intellectuelle et la conversion morale pourrait, comme l’a montré Augustin lui-même, se répartir ainsi : le livre VII correspond à la conversion intellectuelle, le livre VIII à la conversion morale. Le livre VII des Confessions a été important pour les chercheurs du XXe siècle, parce que Augustin y évoque sa rencontre décisive avec les platoniciens. Augustin pensait, au départ, que plusieurs théories néoplatoniciennes correspondaient à l’enseignement chrétien. Mais il décrit les théories qu’il a lues, dans des livres qui lui avaient été données peut-être par un néoplatonicien milanais non chrétien, en citant le Prologue de l’évangile de Jean. L’utilisation d’un tel procédé littéraire rend difficile l’identification des traités qu’il a lus. Ailleurs, on apprend que ces livres étaient nombreux mais de grande inspiration. La plupart des chercheurs contemporains concluent qu’Augustin a lu Plotin et Porphyre peut-être une simplification supplémentaire puisque Porphyre est l’éditeur et le commentateur de Plotin.

Quoi qu’il en soit, à partir de sa lecture et de sa comparaison du platonisme avec l’Ecriture, Augustin commence à affirmer ce qu’il a maintenu pendant toute sa vie : seul le christianisme réalise les aspirations au bonheur des philosophes antiques. Le mieux qu’ait pu faire la sagesse antique, c’est d’avoir envisagé la fin de l’humanité : l’union à Dieu. Les philosophes n’ont pas trouvé les moyens pour atteindre cette fin : ils ont vu la patrie, mais non pas la voie. Le Christ est le seul chemin par lequel l’être humain peut accéder au salut. Si le néoplatonisme et le christianisme semblent enseigner des doctrines analogues, en réalité, il n’en va pas du tout ainsi. Cela apparaît nettement à propos de la Trinité, de la métaphysique de l’être et du non-être, du mal, de la Providence divine, de l’omniprésence de Dieu et de la théorie épistémologique de l’illumination. Mais, surtout, ce qu’Augustin n’a pas trouvé chez les néoplatoniciens, c’est l’incarnation du Christ et le salut par cette incarnation. Comme résultat direct de la lecture de ces livres, Augustin a eu quelques expériences spirituelles.

Le livre VIII des Confessions, traitant de la conversion morale de St Augustin, est le sommet de l'ouvrage, le dénouement de la crise. Presque tout cycle pictural traitant de la vie de St Augustin contient une reproduction de l'épisode du jardin de Milan. La scène dépeint St Augustin pleurant sous un figuier. Il entend une voix partie de la maison voisine, une voix de garçon ou de jeune fille qui chantait et répétait à diverses reprises "Prends, lis! Prends, lis!"[9]. Alors il reçoit cela comme un avertissement divin, au sens technique augustinien du terme, à prendre le livre des Ecritures. Que lit-il? Un passage de l'épître aux Romains de St Paul: "Ne vivez pas les festins, dans les excès de vin, ni dans les voluptés impudiques, ni dans les querelles et les jalousies, mais revêtez-vous de Notre Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à contenter la chair dans ses convoitises."[10]. Une bonne partie de la recherche du XXe siècle a été occupée par la controverse sur la nature de la conversion de St Augustin. Etait-ce au néoplatonisme? Etait-ce au christianisme?

          Pierre Courcelle[11] montre que cette conversion a deux aspects. Il y a une conversion réelle à ce moment de la vie  de St Augustin, nous ne pouvons en douter. Il s'est converti à la vie chrétienne qu'il mènera à Cassicianum et à Thagaste. Il est hors de doute que les platoniciens chrétiens de Milan ont infléchi son idée de christianisme et son idéal chrétien. La vie du sage antique, telle que la décrit Cicéron et le néoplatonisme, a également joué un rôle. La vie monastique telle qu'il a commencé à la connaître à Milan, a également marqué sa conversion. A partir de ces expériences, St Augustin a développé son idéal chrétien de vie commune, fondé sur la vie des premières communautés chrétiennes, comme nous le voyons dans les Actes des Apôtres et la vie des communautés philosophiques, telles qu'elles étaient décrites dans l'Hortensius.

          Au livre IX des Confessions, St Augustin décrit la période qui va de sa conversion à la mort, à la fin de 387. Le sommet de ce livre est "la vison d'Ostie"[12] Le baptême de St Augustin est à peine mentionné, à la différence de la vision de Saint Augustin et de Sainte Monique qui est évoquée avec beaucoup de détails. Toute une controverse s'est développée pour savoir si cette vision d'Ostie était mystique. Nous pensons pour notre part que St Augustin nous a donné une des descriptions de son expérience mystique dont la nature est à déterminer: St Augustin a eu des intuitions brèves, directes de Dieu. Mais il a été déçu et recherche une vision durable avec l'aide de Dieu en sa vie. En raison d'une lecture précise de l'épître de Paul aux Galates, il a renoncé à ce projet au moment des Confessions. Beaucoup de ses premiers ouvrages à Cassiciacum, à Rome et à Thagaste sont à comprendre comme des purifications intellectuelles préparant l'ascension de l'esprit vers Dieu. Les premiers travaux sur l'âme consistent à la tourner vers l'intérieur pour se connaître elle-même. Le terme mystique est rarement utilisé par St Augustin et jamais dans le sens de la mystique espagnole du XVIe siècle, et pourtant St Augustin a assurément une saisie intuitive de la nature de Dieu.

          Bien que le livre X des Confessions constitue une transition littéraire entre les neuf premiers livres et les trois derniers, il est signifiant en lui-même: St Augustin témoigne de son état d'esprit actuel. Si les Confessions, dans leur ensemble, peuvent être décrites comme une ascension de l'esprit vers Dieu, alors le livre X est un microcosme de tout l'ouvrage. Après une brève introduction, St Augustin va de la création matérielle à son moi. Il distingue le moi humain à partir d'une analyse précise, mais longue de la mémoire dans sa quête de bonheur. Il décrit ensuite ses tentations comme évêque à partir de la triple concupiscence. Ainsi, le livre se termine par une réflexion sotériologique sur le Christ comme véritable médiateur entre Dieu et les hommes. Et Augustin peut ainsi laisser épancher son cœur en ces termes: " Tard je t'ai aimée, Ô Beauté si ancienne et si neuve, tard je t'ai aimée! Mais quoi! Tu étais au dedans de moi, et j'étais, moi, en dehors de moi-même! Et c'est au dehors que je te cherchais; je me ruais, dans ma laideur, sur la grâce de tes créatures."[13]

          Les livres XI à XIII sont une exégèse essentiellement allégorique, de Gn 1,1-31. Ces trois livres peuvent constituer le sommet de l'ascension vers Dieu dans la mesure où les hommes peuvent la connaître en cette vie. Les élévations des livres VII et IX des Confessions se terminent par une vision fugitive, partielle. Mais la connaissance que les hommes ont de Dieu en ce monde est "en miroir et en énigme et non face à face." Nous trouvons dans ce livre sa réflexion sur le temps (une distension de l'âme), sur la Création, la Trinité, les différents sens et interprétations des textes bibliques et sur l'amour comme poids de l'âme, par lequel l'âme trouve sa place dans l'univers.

Dr AKE Patrice Jean

Maître-Assistant de Philosophie

patrice.ake@ucocody.ci


[1] VAN FLETEREN (Frederick).- "Les Confessions" in Encyclopedia St Augustin. La Méditerranée et l' Europe. IVe-XXIe siècle (Paris, Cerf 2005), pp. 324-331

[2] DE LABRIOLLE(Pierre).- Introduction aux Confessions (Paris, Belles Lettres 1925), p. V

[3] DE LABRIOLLE(Pierre).- Introduction aux Confessions (Paris, Belles Lettres 1925), p. V

[4] AUGUSTIN(St).- Confessions, Livre I, I, 1 (Paris, Belles Lettres 1925)

[5] AUGUSTIN(St).- Confessions X, 1,1 (Paris, Belles Lettres 1926)

[6] ASSALE AKA-BWASSI Dominique.- St Augustin et la théorie de l’historicité (Abidjan, CRDI 2003), p. 1

[7] Ga 4, 22-24

[8] AUGUSTIN(St).- Confessions II, 3,7 (Paris, Belles Lettres 1926)

[9] AUGUSTIN(St).- Confessions VIII,12,29, (Paris, Belles Lettres 1925)

[10] Rm 13,13

[11] COURCELLE(Pierre).- Les Confessions de la tradition littéraire: antécédents et postérité. (Paris, Etudes augustiniennes 1963)

[12] AUGUSTIN(St).- Confessions IX,10,23, (Paris, Belles Lettres 1925)

[13] AUGUSTIN(St).- Confessions X,27,38, (Paris, Belles Lettres 1925)

lundi 22 décembre 2008

NOEL COMME INCARNATION DU VERBE EN VUE DE LA REDEMPTION DES HOMMES

          Les non croyants perçoivent dans la fête de Noël quelque chose d'extraordinaire et transcendant qui parle au coeur. C'est une fête qui chante le don de la vie, car la naissance d'un enfant devrait toujours être une occasion de joie. Normalement, un nouveau-né inspire attention et tendresse. Noël est de fait la découverte d'un nouveau-né qui vagit dans une pauvre grotte. A la vue de la crèche, comment ne pas penser à tous ces enfants qui aujourd'hui encore naissent dans le dénuement de par le monde? Comment ne pas penser aux nouveaux-nés refusés et à ceux qui ne survivent pas au manque de soins ou d'attentions? Et aux familles qui espèrent la joie d'une naissance et dont l'attente n'est pas comblée?".

          Sous la pression de l'hédonisme et de l'esprit de consommation, Noël risque malheureusement de perdre son sens spirituel et de se réduire à une occasion commerciale, à des échanges de cadeaux matériels. Or, les difficultés de tant de familles et la crise économique qui touche l'humanité entière pourraient aider à redécouvrir la simplicité, l'amitié et la solidarité qui sont les valeurs de Noël. Libéré de ses connotations matérialistes, Noël redeviendrait l'occasion d'accueillir comme un cadeau le message d'espérance contenu dans le mystère de la naissance du Christ. Certes, tout ceci ne suffirait pas à récupérer dans sa totalité la spiritualité d'une fête qui, nous le savons, marque l'évènement central de l'histoire, l'incarnation du Verbe en vue de la rédemption des hommes... Pour nous, à Noël, se renouvelle le mystère majeur du salut, promis et accordé..., appelé à durer sans fin... A Noël, nous ne nous limitons pas à commémorer la naissance d'un grand personnage, un mystère abstrait ou plus généralement le mystère de la vie...mais un fait concret et fondamental pour tout homme, essentiel pour la foi chrétienne, une vérité que Jean résume par son Le Verbe s'est fait chair. Il s'agit d'un évènement historique que Luc place dans un contexte bien précis, au moment du premier recensement ordonné par Auguste alors que Quirinus était gouverneur en Syrie .

          Dans la nuit de Béthléem, une grande lumière s'est allumée. Le Créateur de l'univers s'est incarné en s'unissant pour toujours à la nature humaine, étant vraiment Dieu de Dieu et lumière de la lumière, mais également vrai homme. Celui que Jean appelle...le Verbe, ce qui signifie aussi le sens..., s'est incarné. Loin d'être une idée vague, il s'agit d'une Parole étendue sur le monde et qui s'adresse à nous tous... Ce sens c'est Dieu tout puissant, un dieu bon qu'on ne peut assimiler avec quelqu'être supérieur et lointain, à jamais inaccessible. C'est un Dieu qui s'est fait notre prochain, qui donc nous est proche" et qui se "montre à nous comme un fragile bambin afin de vaincre notre superbe... Il s'est fait petit pour nous libérer de la prétention de grandeur toute humaine qui découle de la superbe. Librement il s'est incarné pour nous libérer, pour nous rendre libre de l'aimer. Noël reste une magnifique occasion de méditer sur le sens et la valeur de nos vies. Puisse l'approche de cette fête solennelle nous aider à réfléchir sur le caractère dramatique de l'histoire où les hommes blessés par le péché sont à la recherche du bonheur, d'un sens du vivre et du mourir. Puisse-t-elle nous encourager sur la miséricordieuse bonté de Dieu, venu à la rencontre de l'homme pour lui offrir personnellement la vérité qui sauve et en fait un ami.

Père AKE Patrice Jean

mardi 16 décembre 2008

COMBATTRE LA PAUVRETE CONSTRUIRE LA PAIX MESSAGE DE BENOIT XVI JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX 2009

 

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1. Au début de cette nouvelle année, je désire adresser à tous mes vœux de paix et, par ce Message, inviter chacun à réfléchir sur le thème: Combattre la pauvreté, construire la paix. Mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II, dans le Message pour la Journée Mondiale de la Paix de 1993, avait déjà souligné les répercussions négatives que la situation de pauvreté de populations entières finit par avoir sur la paix. De fait, la pauvreté figure souvent parmi les facteurs qui favorisent ou aggravent les conflits, y compris armés. À leur tour, ces derniers alimentent de tragiques situations de pauvreté. « Une autre menace réelle pour la paix se confirme dans le monde et devient de plus en plus grave – écrivait Jean-Paul II: – de nombreuses personnes et même des populations entières vivent aujourd'hui dans des conditions d'extrême pauvreté. L'inégalité entre riches et pauvres est devenue plus évidente, même dans les pays économiquement les plus développés. Il s'agit là d'un problème qui s'impose à la conscience de l'humanité, car la situation dans laquelle se trouvent nombre de personnes offense leur dignité foncière et, en conséquence, compromet le progrès authentique et harmonieux de la communauté mondiale ».[1]

2. Dans ce contexte, combattre la pauvreté implique donc une prise en considération attentive du phénomène complexe de la mondialisation. Cette prise en compte est importante déjà du point de vue méthodologique, parce qu'elle invite à utiliser le fruit des recherches menées par les économistes et les sociologues sur les divers aspects de la pauvreté. La référence à la mondialisation devrait, également, revêtir un sens spirituel et moral, car elle nous pousse à considérer les pauvres dans la perspective consciente que nous participons tous à un unique projet divin, celui de la vocation à construire une unique famille dans laquelle tous – individus, peuples et nations – règlent leurs comportements en les basant sur les principes de fraternité et de responsabilité.

Dans cette perspective, il est nécessaire d'avoir une vision ample et détaillée de la pauvreté. Si la pauvreté n'était que matérielle, les sciences sociales, qui nous aident à mesurer les phénomènes sur la base de données de caractère surtout quantitatif, seraient suffisantes pour en éclairer les caractéristiques principales. Nous savons cependant qu'il existe des pauvretés immatérielles, qui ne sont pas la conséquence directe et automatique de carences matérielles. Par exemple, dans les sociétés riches et avancées, se trouvent des phénomènes de marginalisation, de pauvreté relationnelle, morale et spirituelle: il s'agit de personnes intérieurement désorientées, qui connaissent diverses formes de malaise malgré le bien-être économique. Je pense, d'une part, à ce qu'on appelle le « sous-développement moral » [2] et, de l'autre, aux conséquences négatives du « surdéveloppement ».[3] Je n'oublie pas non plus que, dans les sociétés dites « pauvres », la croissance économique est souvent freinée par des obstacles culturels, qui ne permettent pas une utilisation correcte des ressources. Il demeure vrai, quoi qu'il en soit, que toute forme de pauvreté non choisie prend racine dans le manque de respect envers la dignité transcendante de la personne humaine. Quand l'homme n'est pas considéré dans l'intégralité de sa vocation et que les exigences d'une véritable « écologie humaine » [4] ne sont pas respectées, les dynamiques perverses de la pauvreté se déclenchent aussi, comme cela apparaît évident dans certains domaines que j'évoquerai brièvement.

Pauvreté et implications morales

3. La pauvreté est souvent mise en relation, comme étant sa cause directe, avec la croissance démographique. En conséquence de quoi, sont mises en œuvre des campagnes de réduction des naissances, conduites au niveau international, recourant aussi à des méthodes qui ne respectent ni la dignité de la femme ni le droit des époux à choisir de manière responsable le nombre de leurs enfants [5] et souvent même, ce qui est plus grave, qui ne respectent pas le droit à la vie. L'élimination de millions d'enfants non-nés, au nom de la lutte contre la pauvreté, constitue en réalité la disparition des plus pauvres parmi les êtres humains. Face à cela, le fait est qu'en 1981, environ 40% de la population mondiale vivait au-dessous du seuil de pauvreté absolue, tandis qu'aujourd'hui ce pourcentage a diminué de moitié et que sont sorties de la pauvreté des populations que caractérise, entre autres, une forte augmentation démographique. Cette donnée met en évidence que les ressources existeraient pour résoudre le problème de la pauvreté, même en présence d'une croissance de la population. Il ne faut pas oublier que, depuis la fin de la seconde Guerre mondiale jusqu'à nos jours, la population sur la terre a augmenté de quatre milliards et que, dans une large mesure, ce phénomène concerne des pays qui ont récemment émergés sur la scène internationale comme de nouvelles puissances économiques et qui ont connu un développement rapide précisément grâce au nombre élevé de leurs habitants. En outre, parmi les Nations les plus développées, celles qui ont les taux de natalité les plus élevés jouissent des meilleures potentialités de développement. En d'autres termes, il apparaît que la population est une richesse et non un facteur de pauvreté.

4. Une autre source de préoccupation est constituée par les maladies pandémiques comme, par exemple, la malaria, la tuberculose et le sida, qui, dans la mesure où elles frappent les secteurs productifs de la population, influent grandement sur l'aggravation des conditions générales du pays. Les tentatives pour freiner les conséquences de ces maladies sur la population n'atteignent pas toujours des résultats significatifs. Il arrive, en outre, que les pays victimes de certaines de ces pandémies doivent subir, pour y faire face, le chantage de ceux qui conditionnent les aides économiques à la mise en œuvre de politiques contraires à la vie. Il est en particulier difficile de combattre le sida, qui est une cause dramatique de pauvreté, si les problématiques morales liées à la diffusion du virus ne sont pas affrontées. Il faut en premier lieu mettre en œuvre des campagnes qui éduquent, surtout les jeunes, à une sexualité qui soit conforme à la dignité de la personne; des initiatives réalisées en ce sens ont déjà obtenu des résultats significatifs, en faisant diminuer la diffusion du VIH. Il faut ensuite mettre à la disposition des peuples pauvres les médicaments et les soins nécessaires; ce qui suppose un engagement fort en faveur de la recherche médicale et des innovations thérapeutiques, ainsi qu'une application souple, quand cela s'avère nécessaire, des règles internationales qui régissent la propriété intellectuelle, afin de garantir à tous les soins sanitaires de base nécessaires.

5. Un troisième domaine, qui est l'objet d'attention dans les programmes de lutte contre la pauvreté et qui en manifeste la dimension morale intrinsèque, est la pauvreté des enfants. Quand la pauvreté frappe une famille, les enfants en sont les victimes les plus vulnérables: presque la moitié des personnes qui vivent dans la pauvreté absolue est aujourd'hui constituée par des enfants. Considérer la pauvreté en se mettant du côté des enfants conduit à retenir comme prioritaires les objectifs qui les intéressent plus directement comme, par exemple, l'attention aux mères de famille, le travail éducatif, l'accès aux vaccins, aux soins médicaux et à l'eau potable, la sauvegarde de l'environnement et, surtout, l'engagement pour la défense de la famille et pour la stabilité des relations en son sein. Quand la famille s'affaiblit, les préjudices retombent inévitablement sur les enfants. Là où la dignité de la femme et de la mère n'est pas protégée, ceux qui en subissent les conséquences, ce sont d'abord et toujours les enfants.

6. Un quatrième domaine qui, du point de vue moral, mérite une particulière attention est la relation qui existe entre le désarmement et le développement. Le niveau global actuel des dépenses militaires des États est préoccupant. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, le fait est que « les immenses ressources matérielles et humaines engagées pour les dépenses militaires et pour les armements sont en réalité soustraites aux projets de développement des peuples, spécialement à ceux qui sont les plus pauvres et qui ont le plus besoin d'aide. Cela va à l'encontre de ce que la Charte des Nations-Unies elle-même affirme, quand elle engage la communauté internationale et les États en particulier, “à favoriser l'établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationale en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde” (art. 26) ».[6]

Cet état de chose n'aide pas mais, au contraire, il constitue un obstacle sérieux à la poursuite des grands objectifs de développement de la communauté internationale. En outre, une croissance excessive des dépenses militaires risque d'accélérer une course aux armements qui provoque des poches de sous-développement et de désespoir, se transformant ainsi paradoxalement en facteurs d'instabilité, de tension et de conflit. Comme l'a sagement déclaré mon vénéré prédécesseur Paul VI, « Le développement est le nouveau nom de la paix ».[7] Les États sont donc appelés à réfléchir sérieusement sur les raisons les plus profondes des conflits, souvent allumés par l'injustice, et à y remédier par une autocritique courageuse. Si l'on parvient à une amélioration des relations, cela devrait permettre une réduction des dépenses d'armements. Les ressources économisées pourront être destinées à des projets de développement des personnes et des peuples plus pauvres et nécessiteux: l'engagement consenti en ce sens est un engagement pour la paix au sein de la famille humaine.

7. Un cinquième domaine relatif à la lutte contre la pauvreté matérielle concerne la crise alimentaire actuelle, qui compromet la satisfaction des besoins élémentaires. Cette crise n'est pas tant caractérisée par l'insuffisance de nourriture, mais davantage par les difficultés d'accès à celle-ci et par des mouvements spéculatifs et, donc, aussi par un déficit de coordination des institutions politiques et économiques en mesure de faire face aux nécessités et aux urgences. La malnutrition peut aussi entraîner de graves dommages psychophysiques aux populations, privant de nombreuses personnes des énergies nécessaires pour sortir, sans une aide particulière, de leur situation de pauvreté. La conséquence est que ces populations ne sont pas en mesure de sortir seules de leur sous-développement. Cela contribue à élargir la fourchette des inégalités, provoquant des réactions qui risquent de devenir violentes. Ces dernières années, les données sur l'évolution de la pauvreté relative indiquent toutes un accroissement de l'écart entre riches et pauvres. Les causes principales de ce phénomène sont sans doute, d'une part, le changement technologique, dont les bénéfices se concentrent dans la zone la plus élevée de la distribution du revenu et, d'autre part, la dynamique des prix des produits industriels, qui augmentent beaucoup plus rapidement que les prix des produits agricoles et des matières premières que possèdent les pays les plus pauvres. Il arrive ainsi que la majeure partie de la population des pays les plus pauvres souffre d'une double marginalisation: en termes de revenus plus bas et de prix plus élevés.

Lutte contre la pauvreté et solidarité globale

8. L'une des voies maîtresses pour construire la paix est une mondialisation ayant pour objectif les intérêts de la grande famille humaine.[8] Cependant pour gérer ainsi la mondialisation, il faut une forte solidarité globale [9] entre pays riches et pays pauvres, de même qu'au sein de chaque pays, même s'il est riche. Un « code éthique commun » [10] est nécessaire, dont les normes n'auraient pas seulement un caractère conventionnel, mais seraient enracinées dans la loi naturelle inscrite par le Créateur dans la conscience de tout être humain (cf. Rm 2, 14-15). Ne nous sentons-nous pas appelés, chacun, au fond de notre conscience, à apporter notre propre contribution au bien commun et à la paix sociale ? La mondialisation élimine certaines barrières, mais cela ne signifie pas qu'elle ne puisse pas en construire de nouvelles; elle rapproche les peuples, mais la proximité territoriale et temporelle ne crée pas, de soi, les conditions d'une véritable communion et d'une paix authentique. La marginalisation des pauvres de la planète ne peut trouver de remède valide dans la mondialisation que si chaque homme se sent personnellement blessé par les injustices existant dans le monde et par les violations des droits de l'homme qui y sont liées. L'Église, qui est « signe et instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain »,[11] continuera à offrir sa contribution afin que soient dépassées les injustices et les incompréhensions et qu'advienne un monde plus pacifique et plus solidaire.

9. Dans le domaine du commerce international et des transactions financières, des processus sont aujourd'hui en place qui permettent une intégration positive des économies, ce qui contribue à l'amélioration des conditions générales; mais il y a aussi des processus en sens inverse, qui suscitent des divisions entre les peuples et la marginalisation, créant ainsi de dangereux risques de guerres et de conflits. Dans les décennies qui ont suivi la seconde Guerre mondiale, le commerce international des biens et des services s'est accru de manière extrêmement rapide, avec un dynamisme qui n'avait jamais eu de précédents au cours de l'histoire. Une grande partie du commerce mondial concernait les pays d'industrialisation ancienne, auxquels se sont ajoutés de manière significative de nombreux pays émergents qui en sont devenus des acteurs importants. Mais d'autres pays, dont le revenu est bas, demeurent largement en marge des mouvements d'échanges commerciaux. Leur croissance s'est trouvée ralentie par la chute rapide, dans les dernières décennies, du cours des matières premières qui représentent la quasi totalité de leurs exportations. Dans ces pays, africains pour la plupart, la dépendance par rapport aux exportations des matières premières continue à représenter un puissant facteur de risque. Je voudrais ici renouveler un appel afin que tous les pays aient les mêmes possibilités d'accès au marché mondial, en évitant toute exclusion et toute marginalisation.

10. Une réflexion similaire peut être conduite à propos du domaine financier, qui concerne l'un des aspects premiers du phénomène de la mondialisation, grâce au développement de l'électronique et aux politiques de libéralisation des flux monétaires entre les différents pays. La fonction objectivement la plus importante de la finance, celle qui consiste à soutenir à long terme la possibilité d'investissements et donc de développement, se révèle aujourd'hui tout à fait fragile: elle subit les contrecoups négatifs d'un système d'échanges financiers – au niveau national et mondial – basé sur une logique du très court terme, qui a pour but l'accroissement de la valeur des activités financières et se concentre sur la gestion technique des diverses formes de risque. La récente crise démontre aussi comment l'activité financière est parfois guidée par des logiques purement auto-référencées et dépourvues de considération, à long terme, pour le bien commun. Le nivellement des objectifs des opérateurs financiers mondiaux à l'échelle du très court terme, diminue la capacité de la finance de jouer son rôle de pont entre le présent et l'avenir, pour soutenir la création de nouvelles possibilités de production et de travail sur une longue période. Une finance limitée au court terme et au très court terme devient dangereuse pour tous, même pour ceux qui réussissent à en tirer profit dans les périodes d'euphorie financière.[12]

11. Il ressort de tout cela que la lutte contre la pauvreté exige une coopération aussi bien sur le plan économique que sur le plan juridique qui permette à la communauté internationale et en particulier aux pays pauvres de trouver et de mettre en œuvre des solutions coordonnées pour affronter ces problèmes en donnant un cadre juridique efficace à l'activité économique. Elle requiert en outre des incitations pour créer des institutions efficaces et participatives, ainsi que des soutiens pour lutter contre la criminalité et promouvoir une culture de la légalité. On ne peut nier, par ailleurs, que les politiques fondées sur l'assistance sont à l'origine de nombreux échecs dans l'aide aux pays pauvres. Investir dans la formation des personnes et développer sur un mode inclusif une culture spécifique de l'initiative constitue actuellement, semble-t-il, la démarche appropriée à moyen et long terme. Si, pour se développer, les activités économiques ont besoin d'un contexte favorable, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas accorder d'attention aux problèmes du revenu. Si l'on a fort à propos souligné que l'accroissement du revenu par tête ne peut pas constituer de manière absolue la fin de l'action politico-économique, on ne doit pas pour autant oublier que celui- ci représente un moyen important pour atteindre l'objectif de la lutte contre la faim et l'extrême pauvreté. À cet égard, doit être écartée comme une illusion l'idée selon laquelle une politique de pure redistribution des richesses existantes puisse résoudre le problème définitivement. Dans une économie moderne, en effet, la valeur de la richesse dépend dans une importante mesure de sa capacité de créer du revenu pour le présent et pour l'avenir. La création de valeurs devient donc une obligation incontournable, dont il faut tenir compte pour lutter de manière efficace et durable contre la pauvreté matérielle.

12. Mettre les pauvres à la première place suppose, enfin, que les acteurs du marché international construisent un espace où puisse se développer une juste logique économique, et que les acteurs institutionnels mettent en œuvre une juste logique politique ainsi qu'une correcte logique de participation capable de valoriser la société civile, locale et internationale. Les Organismes internationaux eux-mêmes reconnaissent de nos jours combien sont précieuses et profitables les initiatives économiques de la société civile ou des administrations locales pour permettre la sauvegarde et l'insertion dans la société des couches de population qui, souvent, sont au-dessous du seuil de l'extrême pauvreté et qui, en même temps, sont difficilement atteintes par les aides officielles. L'histoire du développement économique du XXe siècle montre que de bonnes politiques de développement relèvent de la responsabilité des hommes et de la création de synergies positives entre marchés, société civile et États. En particulier, la société civile a un rôle de premier plan dans tout processus de développement, parce que le développement est essentiellement un phénomène culturel et que la culture naît et se développe dans le domaine civil.[13]

13. Comme mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II l'a affirmé, la mondialisation « se présente avec un caractère très marqué d'ambivalence » [14] et elle doit donc être gérée avec une sage vigilance.[15] Cette forme de sagesse requiert que l'on tienne compte en premier lieu des besoins des pauvres de la terre, en mettant fin au scandale de la disproportion entre les problèmes de la pauvreté et les mesures prévues pour les affronter. Cette disproportion, si elle est d'ordre culturel et politique, est avant tout d'ordre spirituel et moral. Souvent, on s'arrête sur les causes superficielles et instrumentales de la pauvreté, sans aller jusqu'au cœur de l'homme où s'enracinent l'avidité et l'étroitesse de vues. Les problèmes du développement, des aides et de la coopération internationale sont parfois envisagés sans qu'il y ait un véritable engagement des personnes, mais simplement comme des questions techniques face auxquelles on se limite à la mise en place de structures, d'accords tarifaires et à la concession de financements anonymes. La lutte contre la pauvreté requiert au contraire des hommes et des femmes qui vivent en profondeur la fraternité et qui soient capables d'accompagner les personnes, les familles et les communautés sur les chemins d'un authentique développement humain.

Conclusion

14. Dans l'encyclique Centisimus annus, Jean-Paul II mettait en garde à propos de la nécessité « d'abandonner la mentalité qui considère les pauvres – personnes et peuples – presque comme un fardeau, comme d'ennuyeux importuns qui prétendent consommer ce que d'autres ont produit. Les pauvres – écrivait-il – revendiquent le droit d'avoir leur part des biens matériels et de mettre à profit leur capacité de travail afin de créer un monde plus juste et plus prospère pour tous ».[16] Dans la réalité mondialisée actuelle, il apparaît avec toujours plus d'évidence que la paix ne se construit que si l'on assure à tous la possibilité d'une croissance raisonnable: tôt ou tard, en effet, tous doivent payer les conséquences des distorsions de systèmes injustes. Seule l'inconscience peut conduire à construire une maison dorée avec tout autour le désert et la désolation. La mondialisation, à elle seule, est incapable de construire la paix et, dans bien des cas, au contraire, elle crée des divisions et des conflits. Celle-ci révèle plutôt un besoin: celui d'être orientée vers un objectif de solidarité profonde qui veut le bien de chacun et de tous. Prise dans ce sens, la mondialisation doit être considérée comme une occasion propice pour réaliser quelque chose d'important dans la lutte contre la pauvreté et pour mettre à la disposition de la justice et de la paix des ressources qui semblaient jusqu'alors inimaginables.

15. Depuis toujours, la doctrine sociale de l'Église s'est préoccupée des pauvres. Au temps de l'encyclique Rerum novarum, il s'agissait principalement des ouvriers de la nouvelle société industrielle; dans le magistère social de Pie XI, de Pie XII, de Jean XXIII, de Paul VI et de Jean-Paul II, ont été mises en lumière de nouvelles pauvretés à mesure que l'horizon de la question sociale se faisait plus vaste, au point de prendre des dimensions mondiales.[17] Il faut considérer cet élargissement de la question sociale au niveau mondial non seulement comme une extension quantitative, mais aussi comme un approfondissement qualitatif concernant la vie de l'homme et les besoins de la famille humaine. Pour cette raison, l'Église, tandis qu'elle suit avec attention les phénomènes actuels de la mondialisation et leur influence sur les pauvretés humaines, montre les nouveaux aspects de la question sociale, non seulement dans leur extension, mais aussi dans leur profondeur, en ce sens qu'ils concernent l'identité de l'homme et sa relation à Dieu. Il s'agit de principes de doctrine sociale qui tendent à mettre en lumière les points de rencontre entre pauvreté et mondialisation et à orienter l'action vers la construction de la paix. Parmi ces principes, il est opportun de rappeler ici, de manière particulière, à la lumière du primat de la charité, l'« amour préférentiel pour les pauvres » [18] dont toute la tradition chrétienne témoigne depuis l'Église des origines (cf. Ac 4, 32-36; 1 Co 16, 1; 2 Co 8-9; Ga 2, 10).

« Que chacun joue le rôle qui lui revient et qu'il ne tarde pas », écrivait en 1891 Léon XIII, en ajoutant: « Quant à l'Église, jamais elle n'abandonnera, en aucune manière, son œuvre ».[19] Cette conscience accompagne encore aujourd'hui l'action de l'Église envers les pauvres, en qui elle reconnaît le Christ,[20] et elle entend sans cesse résonner en son cœur le commandement du Prince de la paix à ses Apôtres: « Vos date illis manducare – donnez-leur vous-mêmes à manger » (Lc 9,13). Fidèle à cette invitation de son Seigneur, la Communauté chrétienne ne manquera jamais de donner à la famille humaine tout entière son soutien dans les élans de solidarité créative, non seulement pour donner le superflu mais surtout pour que changent « les styles de vie, les modèles de production et de consommation, les structures de pouvoir établies qui régissent aujourd'hui les sociétés ».[21]  À chaque disciple du Christ, comme aussi à toute personne de bonne volonté, j'adresse donc en ce début d'année un chaleureux appel à élargir l'espace de son cœur vers les nécessités des pauvres et à faire tout ce qu'il est concrètement possible de faire pour leur venir en aide. Car demeure incontestablement vrai le principe selon lequel « combattre la pauvreté, c'est construire la paix ».

Du Vatican, le 8 décembre 2008.

BENEDICTUS PP. XVI


[1] Message pour la Journée de la Paix, 1993, n. 1.

[2] Paul VI, Encycl. Populorum progressio, n. 19.

[3] Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, n. 28.

[4] Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus, n. 38.

[5] Cf. Paul VI, Encycl. Populorum progressio, n. 37; Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, n. 25.

[6] Benoît XVI, Lettre au Cardinal Renato Raffaele Martino à l'occasion du Séminaire international organisé par le Conseil pontifical Justice et Paix sur le thème: « Désarmement, développement et paix. Perspectives pour un désarmement intégral », 10 avril 2008: L'Osservatore Romano, 13.04.2008, p. 8.

[7] Encycl., Populorum progressio, n. 87.

[8] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus, n. 58.

[9] Cf. Jean-Paul II, Discours à l'audience aux ACLI, 27 avril 2002, 4: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XXV, 1 [2002], 637.

[10] Jean-Paul II, Discours à l'Assemblée Plénière de l'Académie Pontificale des Sciences sociales, 27 avril 2001, 4: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XXIV, 1 [2001], 802.

[11] Concile Œcum. Vat. II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 1.

[12] Cf. Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium de la Doctrine sociale de l'Église, n. 368.

[13] Cf. Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium de la Doctrine sociale de l'Église, n. 356.

[14] Discours aux Dirigeants de syndicats de travailleurs et de grandes entreprises, 2 mai 2000, 3: La Documentation catholique, 97 (2000), p. 456.

[15] Cf. Discours à l'Assemblée plénière de l'Académie pontificale des Sciences, 11 novembre 2002, 2: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XXV, 2 [2002], 699.

[16] Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus, n. 28.

[17] Cf. Paul VI, Encycl. Populorum progressio, n. 3.

[18] Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, cf. Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus, n. 57.

[19] Léon XIII, Encycl. Rerum novarum, n. 45.

[20] Cf. Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus, n. 58.

[21] Ibid., n. 58.

samedi 6 décembre 2008

PREPAREZ LE CHEMIN DU SEIGNEUR

DEUXIEME DIMANCHE DE L’AVENT ANNEE B/7 DECEMBRE 2008

Chers frères et sœurs en Jésus-Christ !

L’évangile que nous venons d’entendre, en ce deuxième dimanche de l’Avent de l’année B commence par ces quatre mots « Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, le Fils de Dieu », qui résument tout le mystère de Jésus de Nazareth. Cet homme, situé humainement, est Christ, Fils de Dieu : c'est-à-dire à la fois roi, Messie, celui qui accomplit l'attente de son peuple, mais aussi réellement Fils de Dieu, c'est-à-dire Dieu lui-même... et là les attentes du peuple élu ont été non seulement comblées mais largement dépassées. Désormais tout l'évangile de Marc sera le développement de ce premier verset.

- « Bonne Nouvelle » : il faudrait entendre cette expression dans toute sa force ! Au sens de « Grande Nouvelle », une grande Nouvelle qui serait excellente. Etymologiquement, c'est exactement le sens du mot « évangile » ; à l'époque, les heureuses grandes nouvelles officielles comme la naissance d'un roi ou une victoire militaire étaient appelées des « évangiles ». Matthieu, Marc, Luc et Jean n'ont pas écrit des livres de souvenirs, des biographies de Jésus de Nazareth ; pour eux il s'agit d'une Nouvelle extraordinaire et elle est bonne ! « Croyez à la Bonne Nouvelle » (c'est une autre phrase de Marc) veut dire « croyez que la Nouvelle est Bonne ! » Cette Bonne Nouvelle, les évangélistes ne peuvent pas, ne veulent pas la garder pour eux ; alors ils prennent la plume pour dire au monde et aux générations futures : Celui que le peuple de Dieu attendait est venu : il donne sens à la vie et à la mort, il ouvre nos horizons, illumine nos yeux aveugles, il fait vibrer nos tympans durcis, met en marche les membres paralysés et va jusqu'à relever les morts. Voilà une Bonne Nouvelle !

- Contrairement aux récits de Matthieu et de Luc, cette Bonne Nouvelle ne commence pas, chez Marc, par des récits de la naissance ou de l'enfance de Jésus, mais tout de suite par la prédication de Jean-Baptiste. « Jean le Baptiste parut dans le désert ». Et Marc cite le prophète Isaïe : « Voici que j'envoie mon messager devant toi pour préparer ta route. A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route ». Cette dernière phrase, vous l'avez reconnue, elle est tirée du deuxième livre d'Isaïe dans ce texte qui commence par ces mots superbes « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (Is 40 : première lecture de ce dimanche). En revanche la première phrase « Voici que j'envoie mon messager devant toi pour préparer ta route » n'est pas du prophète Isaïe, mais Marc fait ici un rapprochement très intéressant, avec une phrase du prophète Malachie et une autre du livre de l'Exode.

- Il est rare que les évangiles décrivent le vêtement et la nourriture de quelqu'un ! Si Marc le fait ici pour Jean-Baptiste, c'est que cela a un sens ; « Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins, et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. » Les sauterelles et le miel sauvage sont la nourriture du désert, avec ce que cela signifie d'ascétisme, mais aussi de promesses, puisque c'est au désert que la grande aventure de l'Alliance avec Dieu a commencé : manière de dire « la venue de Jean-Baptiste est votre chance d'un retour au désert, des retrouvailles avec votre Dieu ».

- Et voilà pourquoi, je crois, Marc a rapproché les diverses citations que nous avons lues un peu plus haut. Le prophète Malachie écrivait « Voici, j'envoie mon messager, il aplanira le chemin devant moi ». (Ml 3, 1) ; nous sommes dans la perspective de la venue du Jour de Dieu ; et dans le livre de l'Exode on trouve « Je vais envoyer un messager devant toi pour te garder en chemin et te faire entrer dans le lieu que j'ai préparé » (Ex 23, 20) ; c'est un rappel de la sortie d'Egypte. Ce que Marc sous-entend ici en quelques mots, c'est que Jean-Baptiste nous achemine de l'Alliance historique conclue dans le désert de l'Exode vers l'Alliance définitive en Jésus-Christ.

- Quant au vêtement de poil de chameau, il était celui du grand prophète Elie (2 R 1, 8) : c'était même à cela qu'on le reconnaissait de loin ; Jean-Baptiste est donc présenté comme le successeur d'Elie ; on disait d'ailleurs couramment qu'Elie reviendrait en personne pour annoncer la venue du Messie ; on s'appuyait là sur une autre prophétie de Malachie : « Voici que je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du Seigneur... » (Ml 3, 23).

- Pas étonnant, donc, qu'il y ait toute une effervescence autour de Jean-Baptiste : qui sait ? c'est peut-être Elie qui est revenu ; cela voudrait dire que l'arrivée du Messie est imminente. (Entre parenthèses, cette effervescence prouve en tout cas que l'attente du Messie était vive au temps de Jésus). Les foules accourent donc autour de Jean-Baptiste, nous dit Marc, mais lui ne se laisse pas griser par son succès : il sait qu'il n'est qu'une voix, un signe et qu'il annonce plus grand que lui. Il détrompe fermement ceux qui le prennent pour le Messie et il en tire tout simplement les conséquences : Celui que je vous annonce est tellement plus grand que moi que je ne suis même pas digne de me courber à ses pieds pour dénouer la courroie de sa sandale.

- Comme Elie, comme tout vrai prophète, Jean-Baptiste prêche la conversion : et tous ceux qui veulent changer de vie, il leur propose un baptême. Il ne s'agit plus seulement de se laver les mains avant chaque repas, comme la religion juive le demandait, il s'agit de se plonger tout entier dans l'eau pour manifester la ferme résolution de purifier toute sa vie : entendez de tourner définitivement le dos à toutes les idoles quelles qu'elles soient.

- Dans certains couvents du temps de Jean-Baptiste et de Jésus, on allait même jusqu'à prendre un bain de purification par jour pour manifester et entretenir cette volonté de conversion.

- Mais Jean-Baptiste précise bien : entre son Baptême à lui et celui qu'inaugure le Christ, il y a un monde (au vrai sens du terme) ! « Moi, je vous baptise dans l'eau » : c'est un signe qui montre votre désir d'une nouvelle vie ; le geste du baptiseur et le mouvement du baptisé sont des gestes d'hommes. Tandis que le geste du Christ sera le geste même de Dieu « Il vous baptisera dans l'Esprit Saint ». C'est Dieu lui-même qui transformera son peuple en lui donnant son Esprit.

Chers frères et sœurs, de ce bel évangile, nous devons convertir notre conception de la pureté. Premièrement, la pureté n'est pas ce que nous pensons : spontanément, nous pensons pureté en termes d'innocence, une sorte de propreté spirituelle ; et la purification serait alors de l'ordre du nettoyage, en quelque sorte. Comme si on pouvait laver son âme. En réalité, la pureté au sens religieux a le même sens qu'en chimie : on dit d'un corps qu'il est pur quand il est sans mélange. Le cœur pur, c'est celui qui est tout entier tourné vers Dieu, qui a tourné le dos aux idoles ; (de la même manière que Saint Jean, parlant de Jésus dans le Prologue, dit « Il était tourné vers Dieu »). Deuxièmement, notre purification n'est pas notre œuvre, elle n'est pas à notre portée, elle est l'œuvre de Dieu : pour nous purifier, nous dit Jean-Baptiste, Dieu va nous remplir de l'Esprit-Saint. Nous n'avons qu'à nous laisser faire et accueillir le don de Dieu.

Le deuxième mot que cet évangile me fait entendre est celui du désert. C’est en ce lieu que Jean le Baptiste s’était installé. Car il est des moments de l’existence où il faut savoir prendre du recul, savoir se retirer. Il est parfois besoin d’observer des temps de retraite et d’ascèse. Car accueillir la personne du Sauveur et l’événement de son salut, nécessite aujourd’hui comme hier, que nous préparions notre cœur. N’importe quel amoureux qui est en attente de retrouver son amour, veille à s’offrir à l’autre dans les meilleures conditions. Nous connaissons le Christ comme un grand amour. Comment pourrions-nous ne pas nous préparer de l’accueillir de manière nouvelle, à l’occasion du temps de Noël vers lequel nous cheminons ? Pour cela, écoutons bien la voix du Baptiste et conformons nos comportements à ses appels à la conversion !

Père AKE PATRICE JEAN

jeudi 4 décembre 2008

CONTRIBUTION DE THALES, LE PHILOSOPHE-PHYSICIEN A LA RECHERCHE DE LA PAIX

CONTRIBUTION DE THALES, LE PHILOSOPHE-PHYSICIEN A LA RECHERCHE DE LA PAIX

Dr AKE Patrice Jean, Maître-assistant de Philosophie, UFR-SHS de l’Université de Cocody (Abidjan)

patrice.ake@ucocody.ci

RESUME

Thalès de Milet est un philosophe-physicien qui a mis sa science au service de la paix. Sa cosmologie peut se ramener à trois propositions : la première, la terre flotte sur l’eau ; la seconde, l’eau est la cause matérielle des choses ; la dernière, toutes choses sont pleines de dieux. La physique, la géométrie et l’arithmétique l’ont rendu célèbre. Il a œuvré pour la paix. La paix qui est vécue chez lui comme l’unité des savoirs mais aussi comme l’harmonie. Voilà pourquoi il peut être appelé le philosophe de l’harmonie universelle.

MOTS-CLEFS

Philosophie, sciences, paix, unité, eau, harmonie.

SUMMARY

The mixture of philosopher and practical scientist is seen very clearly in the case of Thales of Miletus. Thales works certainly for the building of peace by predicting the eclipse of the sun as occurring at the close of the war between the Lydians and the Medes. Peace is also Unity and Harmony in Thales’ philosophy. He conceives the notion of Unity in Difference and, while holding fast to the idea of unity, endeavors to account for the evident diversity of the many.

KEY-WORDS

Philosopher, scientist, peace, unity, harmony.

INTRODUCTION

La naissance de la pensée moderne se rattache au mouvement scientifique qui a trouvé son expression la plus célèbre dans l’œuvre de Galilée. Lorsque la physique mathématique eut acquis droit de cité, elle s’opposa à ce que l’on considérait communément au XVIè siècle et au début du XVIIè siècle comme la philosophie d’inspiration aristotélicienne que saint Thomas avait édifiée à la lumière de ses convictions religieuses. Sans doute cette philosophie avait-elle été déjà passablement malmenée par le nominalisme ; mais la science galiléenne, en la personne de ses principaux promoteurs, allait lui porter des coups encore plus durs. L’hostilité violente, qui devait ainsi éclater entre la philosophie et la science nouvelle était inévitable et commandée par les principes même dont s’inspiraient l’une et l’autre doctrine. Il s’agissait de malentendus qu’on aurait pu dissiper. Finalement il s’est agi d’une regrettable incompréhension réciproque qu’aurait dû écarter un plus grand effort de lucidité.

La physique galiléenne n’était, après tout, qu’une science et une méthode nouvelle ; si elle s’était cantonnée dans son propre domaine, elle n’aurait eu aucune occasion de heurter la philosophie, à condition, bien entendu, que celle-ci évitât, pour sa part, d’empiéter sur un terrain qui ne lui appartenait pas ; qu’elle se débarrassât de toute une série de superfétations, qui n’avaient rien à voir avec l’essence de la philosophie et qu’elle comprît qu’elle ne devait p as se substituer au patient labeur de la science expérimentale. Si de part et d’autre, on avait pris toutes les précautions, le conflit n’aurait pas éclaté. Mais alors pourquoi dans l’antiquité grecque le problème ne se posait-il pas ?

A ce séminaire interdisciplinaire “Philosophie et sciences: quel dialogue interdisciplinaire pour la recherche de la paix”, l’axe de réflexion “mathématiques et autres sciences pour une vision pacifique du monde” a rejoint nos interrogations sur Thalès de Milet. Thalès a été notre modèle parce qu’il a réussi à résoudre très tôt le conflit entre la science et la philosophie. Il s’est occupé de choses simples. Désireux de comprendre le monde où nous vivons, il s’occupe d’abord de ce qui se passe entre ciel et terre, et que les Grecs appellent les météores. C’est qu’il vit dans une ville de commerçants grecs. Il obéit dans sa recherche à des raisons d’utilité : il veut que les navires amènent au port leur cargaison et pour cela il veut savoir pourquoi tombe la pluie, ce que sont les vents, quels sont les astres sur lesquels se diriger, lesquels sont les plus mouvants et lesquels les plus fixes. Pour lui, la science n’a pas d’autre origine que la pratique.

Ensuite Thalès est aussi un physicien, trop attaché à la nature. Il pense en termes de matière. Elle est si précieuse qu’il la confond avec la vie. Le caractère rationnel et aussi le caractère universel de ses propositions font de lui le fondateur de la science, que nous définissons, à la suite de Bonnard André comme « un ensemble de propositions liées entre elles par des liens logiques et qui constituent des lois valables en tout temps[1]. »

La journée philosophique mondiale célébrée par l’UNESCO chaque année, le 15 Novembre, coïncide avec la journée nationale de la Paix. Cette paix que personne ne connaît véritablement aujourd’hui, n’est pas une simple pause dans un conflit armé. Cette paix qui est devenue fragile devant l’aggravation permanente de la situation catastrophique de la famine dans le monde, devant le sous-développement structurel des pays du tiers-monde et leur misère sociale indescriptible (conflit Nord-Sud), devant l’accumulation d’armes à haute puissance destructrice et la course générale aux armements (conflit Ouest-Est).[2] La première difficulté à saisir la paix hors de toute référence à la guerre est liée à l’étymologie même du mot « paix ».

Le latin pax vient de pangere, fixer, enfoncer, planter, river, établir solidement et s’engager à, promettre, conclure un pacte. La première détermination philologique de la paix est sa durée. Le concept de paix contient analytiquement une exigence de stabilité. La véritable paix est perpétuelle comme le temps qui la supporte, voire éternelle, au-dessus du temps. Le sens grec, ειρηνη insiste particulièrement sur le sens moral : la paix comme calme de l’âme et de l’esprit. Dans cette étymologie grecque, la paix signifie s’engager, tenir parole (de là l’irénisme, doctrine qui privilégie la paix comme valeur suprême). La paix est un état durable institué volontairement par différentes personnes au moyen d’un contrat éthico-juridique.

Deuxièmement la paix n’est pas seulement un répit de fait entre deux guerres, mais un état de droit moralement fondé. Elle n’est pas un état naturel mais institué par la volonté. Elle nous engage dans un projet et repose sur un contrat. Troisièmement la paix est une modalité d’être partagée et conclue, elle présuppose ou instaure une communauté d’action réciproque entre les hommes. On ne peut faire la paix qu’avec autre que soi. La paix avec soi-même exige toujours un dédoublement minimal du sujet de la pacification. Etre en paix avec soi, c’est réconcilier les tendances divergentes du Moi. Il n’y a pas de paix dans une absolue identité ou unité. La paix est plus union, unification qu’unité donnée. Elle suppose un minimum de différence. Cette pluralité différenciée des partenaires de paix est communion, accord, harmonie.

Ce 15 novembre est aussi la date où la communauté chrétienne célèbre St Albert qui a su mériter le nom de grand pour avoir su concilier sagesse humaine et foi divine. A l’école d’un tel maître, à travers nos progrès dans les sciences, nous voulons mieux contribuer à la recherche de la paix. Ainsi notre communication à ce colloque portera sur Thalès, précisément sur la contribution de ce philosophe-physicien à la recherche de la paix. Il nous faudra, dans un premier temps, établir ce qui fait la spécificité de Thalès comme philosophe. Puis nous verrons l’unité de sa pensée dans la jonction qu’il fait entre la philosophie et les sciences, dans un second moment. Enfin, dans un troisième moment nous montrerons comment cette saine alliance de la philosophie et des sciences en Thalès, a œuvré à la paix dans sa cité.

1 LA SPECIFICITE DE THALES COMME PHILOSOPHE

Dans le sens le plus général du mot, le substratum « philosophie » consiste en la prétention de connaître et d’enseigner la vérité sur les choses. En ce sens, dire que Thalès est philosophe, signifie qu’il veut savoir ce qu’est tout être en réalité et en vérité. Sa tâche essentielle est de pénétrer à travers la complexité des choses auxquelles il croit sans les avoir vues pour découvrir derrière elles la réalité. Or, pour Thalès, cette notion de réalité est l’eau. C’est ce qui a fait dire à Nietzsche que dans son opuscule La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque ceci : « La philosophie grecque semble commencer par cette idée absurde, que l’eau serait l’origine et le sein maternel de toute chose. »[3] Il nous invite, par conséquent, à nous arrêter à cet axiome pour trois raisons.

La première raison est que « c’est un axiome qui traite de l’origine des choses[4]. » La seconde, parce qu’ « il en parle sans image et sans fable[5]. » Enfin, la troisième qui nous intéresse par-dessus tout semble que cet axiome « contient, bien qu’à l’état de chrysalide, cette idée que <<tout est un>>[6]. »

La troisième raison fait de Thalès, aux dires de Nietzsche, un philosophe, bien qu’il soit, en même temps, un savant naturaliste. Cependant nous ne sommes pas d’accord avec Nietzsche quand il établit une séparation entre la science et la philosophie. Bien sûr, avec lui, nous sommes d’accord pour soutenir que la science sépare du commun des hommes religieux et superstitieux. Mais chez lui, la philosophie ne se sépare pas de la science, mais la dépasse. Thalès, ajoute-t-il, « en exposant cette hypothèse de l’unité de l’univers fondée sur la présence de l’eau, (a) dépassé le niveau très bas des théories physiques de son temps[7]. » Il l’a franchi d’un bond. Nous verrons dans la deuxième partie de notre texte, que ces observations scientifiques que Nietzsche relève, ne sont pas aussi « médiocres, incohérentes et tout empiriques[8]. » Bien sûr que Nietzsche privilégie la philosophie comme science quand il utilise l’expression « axiome philosophique » qui se résume ainsi « tout est un[9]. »

En Thalès, pense Nietzsche, la philosophie s’est arrachée au réel empirique, de l’attrait magique et des obstacles de l’expérience. La pensée philosophique indémontrable a, chez Thalès, une valeur, une force propulsive et l’espérance d’une fécondité future. En disant que ce n’est pas l’homme mais l’eau qui est le principe de toute chose, Thalès commence à croire à la nature, dans la mesure où il croit à l’eau. Mais il est aussi un mathématicien et un astronome, et en tant que scientifique, nous pensons qu’il a pu parvenir à la pure abstraction que tout est un.

2. UNITE DE LA PENSEE DE THALES DANS LA JONCTION PHILOSOPHIE-SCIENCES

Thalès est considéré comme le Père de la Géométrie ou encore comme le père de la pensée scientifique, l’initiateur dont les vues géniales orienteront les esprits vers un ordre de recherches absolument nouveau. Il est un homme de science en ce sens, qu’il a été, aux dires de Robert Baccou, dans (l’) histoire de la science grecque de Thalès à Socrate « le premier à poser correctement le problème de cette (discipline), à concevoir la possibilité d’une connaissance du monde essentiellement fondée sur la raison, à définir la nécessité de ramener la multiplicité des phénomènes à l’unité structurale d’un principe[10]. » Pour la commodité de cet exposé, nous suivrons la contribution de cet auteur[11] sous trois aspects principaux : la physique, l’astronomie et les mathématiques. Ces trois sciences, pour notre commentateur, sont loin d’être distinctes et ont pour trait d’union, cette forme générale de la spéculation qu’il appelle la philosophie.

Thalès, faut-il le rappeler, a choisi l’eau comme le principe des choses. Quoiqu’il ne nous reste aucun fragment authentique de lui, ce philosophe-physicien a employé un autre terme que « principe » pour désigner l’eau, peut-être le mot « nature », pris dans le sens assez vague de matière primitive. A l’origine, poursuit Robert Baccou, « on n’établit pas une distinction bien nette entre le principe et l’élément, qui paraissent se confondre du fait que l’on attribue au second un dynamisme interne qui l’apparente au premier[12]. » En d’autres termes, l’eau est, pour Thalès, de quelque manière qu’il l’ait désignée, à la fois, « l’élément et le principe[13] », comme diront les physiciens postérieurs.

Mais, sur quelles raisons se fonde cette hypothèse hardie qui affirme l’unité de la matière et définit sa forme la plus simple ? Peut-être a-t-elle un vague fondement mythique, quand il rappelle à propos de Thalès les vers suivants d’Homère : « L’Océan, genèse des dieux et la Mère Thétys » et « L’Océan qui est la genèse de tous les êtres[14]. » Mais qu’elle ait été ou non inspiré par la légende, il est certain que le Milésien lui confère une espèce de justification rationnelle.

En effet, tout semble vivre par l’eau : le monde végétal, le monde aquatique, le monde animal lui-même, où, dans toutes les espèces la semence est liquide, et la nourriture élaborée sous forme de suc. L’humidité entretient partout la vie, car le dessèchement paraît le signe de la mort. De la sorte, l’eau identifiée avec l’élément fluide, par excellence, est comme le véhicule de tout ce qui est nécessaire à la vie, et, par une généralisation forcée pour nous, mais naturelle chez un esprit qui fait l’apprentissage de la pensée logique, le principe de la vie elle-même, la nature que l’on retrouve partout en œuvre. D’ailleurs il n’est pas jusqu’aux choses inanimées qui ne puissent s’expliquer par les transformations, les métamorphoses, de l’eau primitive. L’eau en s’évaporant produit l’air qui nourrit le feu. Or, n’est-il pas séduisant de considérer ce dernier comme une sorte de raréfaction plus poussée de l’air issu de l’eau ? Et si, au contraire, comme envisage Baccou[15], les corps solides, dont la terre nous fournit le type, ne sera-t-il pas possible d’y voir une forme contractée de la nature originelle ? Assurément, l’hypothèse apparaît ici moins fondée, car si Thalès pouvait confondre l’air avec la vapeur d’eau, il n’ignorait pas que l’eau solidifiée produit la glace. Donc, outre la contraction produite par le froid, Thalès en envisageait une autre, due à d’autres causes. Et il appuyait cette conjecture sur une observation, fort mal interprétée si l’on veut, mais qui dénote tout de même un certain souci de vérité expérimentale : la formation des terrains alluvionnaires à la bouche des fleuves. Ainsi chez le Milésien nous pouvons saisir l’un des caractères essentiels de la pensée grecque : l’effort d’unification du réel en un système cohérent, qui a rendu possible la constitution d’une science rationnelle.

Nous n’allons pas nous étendre davantage sur la cosmologie de Thalès ; tout en rappelant que l’eau a une importance capitale dans sa pensée[16]. L’œuvre de Thalès en mathématiques, mais surtout en géométrie, est aussi impressionnante[17]. Pour mémoire, retenons les théorèmes suivants : premièrement, le cercle est partagé en deux parties égales par son diamètre. Deuxièmement, les angles à la base d’un triangle isocèle sont égaux. Troisièmement, si deux lignes droites se coupent entre elles, les angles opposés qu’elles forment sont égaux. Quatrièmement, l’angle inscrit dans une demi-circonférence est un angle droit. Enfin, un triangle se trouve déterminé si sa base et les angles relatifs à cette base sont donnés[18]. » Ce qui nous frappe dans tous ces théorèmes, c’est l’égalité des rapports, mais aussi les proportions qui tournent autour de l’idée d’harmonie. La première proposition est assurément fondée sur l’intuition, et il est certain que Thalès ne s’est point embarrassé pour la démonter. Elle devait être pour lui une espèce d’axiome. Thalès n’a pas non plus démontré les autres propositions. Des propositions 2 et 3 il a tiré une première notion du lieu géométrique, en remarquant que tous les triangles rectangles construits sur une ligne déterminée comme hypoténuse ont le sommet de l’angle droit sur une circonférence. L’hypothèse est assez hardie, mais non pas dénuée de tout fondement.

Venons-en à présent au célèbre théorème des proportions qui a immortalisé le nom du géomètre Milésien : Si l’on mène une droite à l’un des côtés d’un triangle, cette droite coupera proportionnellement les côtés de ce triangle. Dans les triangles équiangles, les côtés autour des angles égaux sont homologues.

Les cinq ou six propositions attribuées à Thalès, il est facile de s’en rendre compte, en supposent bien d’autres. Mais ce n’est pas leur nombre, quel qu’il puisse être, qui importe le plus à nos yeux, c’est une conception toute nouvelle, abstraite et purement rationnelle de la science géométrique. Avec Thalès, cette science se fonde sur son vrai plan, se pose hardiment comme indépendante des données empiriques, comme libre et désintéressée à l’égard de l’utilité directe. Et déjà elle découvre quelques-uns de ses procédés essentiels. Sans doute elle fait encore appel, pour une large part, à l’intuition. En d’autres termes, elle n’analyse pas toujours rigoureusement des données qui lui semblent immédiates.

En résumé, on peut dire que Thalès est le véritable créateur de la géométrie, car avec lui cette étude prend les caractères qui la marqueront désormais. Il est aussi le vrai fondateur de la science cosmologique. S’est-on jamais demandé quel effort d’abstraction suppose la conception d’un élément unique, dont les transformations successives ou simultanées sont censées rendre compte de ces phénomènes ? L’ harmonie trouvée, par exemle, dans la géométrie, Thalès l’a mise au service de la paix dans sa cité.

3. LA PHILOSOPHIE ET LES SCIENCES AU SERVICE DE LA PAIX

L’activité scientifique et philosophique de Thalès a été mise très tôt au service de la paix. Thalès apparaît dans les récits d’Hérodote quelque temps avant la chute de l’empire lydien. Selon Hérodote, dont le témoignage nous est rapporté par Kirk, Raven et Schofield[19], avant que l’Ionie soit détruite, Thalès de Milet, d’ascendance phénicienne, avait émis une opinion utile en conseillant aux Ioniens d’instituer un conseil délibératif unique : ce conseil devrait siéger à Téos, car, disait-il, cette ville était au centre de l’Ionie ; les autres cités continueraient à être habitées, mais seraient considérées comme des dèmes.

Un autre texte d’Hérodote, cité par nos trois experts[20], nous apprend que lorsqu’il eut atteint les rives du fleuve Halys, Crésus, fit passer son armée sur les ponts qui existaient, mais d’après les récits en cours chez les Grecs, c’est Thalès le Milésien qui rendit possible le passage de l’armée de Crésus. D’après les rumeurs, Crésus aurait été emprunté pour faire passer la rivière à son armée, car ces ponts n’existaient pas encore à l’époque ; Thalès qui se trouvait au sein de l’armée, aurait dévié le cours de la rivière qui coulait à gauche de l’armée, et fait en sorte qu’elle coule aussi à droite. Il s’y prit de cette manière : en amont de l’armée, il fit creuser un profond canal auquel il donna la forme d’un croissant, de sorte que l’eau coule autour du site où l’armée campait ; de cette façon, la rivière se trouvait détournée de son lit par le canal et après avoir contourné le camp, retrouvait son ancien lit. Le résultat fut, d’après Hérodote, qu’une fois la rivière divisée en deux, chacun des bras pouvait être passé à gué. Quelle belle harmonie géométrique que cette rivière divisée en forme de croissant. Ainsi, comme l’affirment Diogène Laërce[21] et Hérodote, Thalès fut un meilleur conseiller dans les affaires publiques. Hérodote quant à lui, fournit un témoignage capital sur l’activité de Thalès, en tant que homme de paix qui met sa science au service de la paix. C’est cette action politique qui a valu au fondateur de l’école milésienne sa place incontestée parmi les Sept Sages, et c’est surtout par ce qu’il fut au nombre de ces grands hommes que s’attachèrent à son nom les nombreuses anecdotes dont on lui fit honneur dans la suite. Il fut le seul qui avait poussé la science par la théorie au-delà de l’utilité pratique : c’est à leurs mérites d’ordre politique que les autres sages durent leur réputation.

Cette faculté d’adaptation intellectuelle semble être une caractéristique des penseurs milésiens qu’on serait tenter de considérer trop exclusivement comme des théoriciens de la physique. Thalès plus particulièrement est devenu le symbole de l’ingéniosité dans les sciences mathématiques et géométriques.

CONCLUSION

L’unitotalité du savoir se retrouve en Thalès dans sa philosophie, ses sciences et sa politique. La paix n’est-ce pas aussi tout cela ? D’abord, la paix autour de l’idée d’unité, l’unité des sciences, mais aussi l’unité des sciences avec la philosophie. Thalès a fondé sa philosophie un principe qui est l’eau. L’eau aussi unit car il s’associe facilement à tous les autres éléments. La paix est cette chose qui unit comme l’eau. Dans nos cultures africaines, l’eau sert aussi à unir les cœurs, à bénir et à sanctifier. La paix c’est aussi l’harmonie, chez Thalès, la belle ordonnance, la composition parfaite[22]. Cette harmonie Thalès nous la traduit dans sa géométrie et son arithmétique par l’égalité des proportions, l’égalité des angles. Ce Milésien pratique aussi l’art du goût, de la dégustation et est un homme au goût subtil[23]. Il sait aussi que c’est l’homme qui tue, non l’épée ou le canon[24]. Tout en nous invitant à rechercher les éléments de l’agressivité plus que des instruments qu’elle emploie, Thalès cherche à faire résonner en nous, cette symphonie universelle qu’est la paix. Diogène Laërce affirme qu’il est mort en regardant un concours gymnique, de soif ou de faiblesse, alors qu’il était déjà âgé. Et sur sa tombe fut inscrit « ce tombeau est certes étroit, mais considère qu’elle atteint les dimensions du ciel. La gloire de Thalès, l’homme très sensé[25]. »

BIBLIOGRAPHIE

BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951)

BONNARD (André).- Civilisation grecque (Paris, éditions Albert Mermoud Vilo 1980)

COSTE(René).- « Paix » in Dictionnaire de Spiritualité (Paris, Beauchesne 1984)

GIGON(Olof).- Les grands problèmes de la philosophie antique (Paris, Payot, 1961)

HOMERE.- Iliade XIV, 201 et Iliade XIV, 246, texte établi et traduit par Paul Mazon avec la collaboration de Pierre Chantraine et autres, (Paris, Belles Lettres 1938)

KIRK (G.S.-RAVEN(J.E)-SCHOFIED(M.).- Les philosophes présocratiques. Une histoire critique avec un choix de textes, (Paris, Cerf 1995)

LAERCE(Diogène).- Vies et doctrines des philosophes illustres (Paris, Livre de Poche, librairie générale française 1999).

METTNER(Mathias).- « Paix » in Dictionnaire de Théologie (Paris, Cerf 1988)

NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938)


[1] BONNARD (André).- Civilisation grecque (Paris, éditions Albert Mermoud Vilo 1980), p. 303.

[2] METTNER(Mathias).- « Paix » in Dictionnaire de Théologie (Paris, Cerf 1988), p. 480.

[3] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 34.

[4] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[5] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[6] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[7] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[8] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[9] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[10] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 44.

[11] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 49.

[12] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 50.

[13] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 50.

[14] HOMERE.- Iliade XIV,201 et Iliade XIV, 246, texte établi et traduit par Paul Mazon avec la collaboration de Pierre Chantraine et autres, (Paris, Belles Lettres 1938)

[15] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 51.

[16] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 54.

[17] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 56-57.

[18] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 56.

[19] KIRK(G.S.-RAVEN(J.E)-SCHOFIED(M.).- Les philosophes présocratiques. Une histoire critique avec un choix de textes, (Paris, Cerf 1995), p. 80.

[20] KIRK(G.S.-RAVEN(J.E)-SCHOFIED(M.).- Les philosophes présocratiques. Une histoire critique avec un choix de textes, (Paris, Cerf 1995), p. 81.

[21] LAERCE(Diogène).- Vies et doctrines des philosophes illustres (Paris, Livre de Poche, librairie générale française 1999), p. 82.

[22] GIGON(Olof).- Les grands problèmes de la philosophie antique (Paris, Payot, 1961), p. 177.

[23] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 38.

[24] COSTE(René).- « Paix » in Dictionnaire de Spiritualité (Paris, Beauchesne 1984), p. 47

[25] LAERCE(Diogène).- Vies et doctrines des philosophes illustres (Paris, Livre de Poche, librairie générale française 1999), p. 91.