lundi 29 juin 2009

GENEALOGIE NIETZSCHEENNE DU CHRIST ET DES CHRETIENS(2)

GENEALOGIE NIETZSCHEENE DU CHRIST ET DES CHRETIENS(2)

1. LE CHRIST VU NIETZSCHE(Suite)

D’après l’Aurore de Nietzsche[1], un christianisme, probe et juste, a toujours analysé les écrits de ses exégètes avec perspicacité. Ceux-ci, que ce soit au niveau de la dogmatique ou encore au niveau de la science exégétique proprement dite, ne manquent pas d’audace, mais sont parfois dans l’embarras devant le caractère sacré de l’Ecriture. Cette argumentation qui ne tient pas la route, offusque le philologue Nietzsche qui s’insurge contre les prédicateurs protestants en relevant « la façon grossière dont (ceux-ci) exploite(nt) le fait que personne ne peut (leur) répondre, la manière dont (ils) déforme(nt) et accommode(nt) la bible[2]… »

Quel statut a l’Ancien Testament dans le judaïsme et dans le christianisme ? Pour les chrétiens, selon Nietzsche, partout dans l’Ancien Testament, il n’est question que du Christ et rien d’autre, alors que les Juifs ont une autre lecture. Par exemple, la croix est un symbole central chez les premiers, tandis que les autres ont d’autres symboles, comme le bois, la verge, l’échelle, le rameau…Tous ces derniers symboles, pense Nietzsche, ne renvoient pas tous au Christ exclusivement. Il va même narguer les interprétations christiques comme celles des bras étendus de Moïse, tout comme les lances où rôtissait l’Agneau pascal. N’est-ce pas les dérives de l’exégèse allégorique qui ont fait le bonheur des chrétiens, pendant un certain temps ?

Le fait de parler en images, nous voulons dire en paraboles, apparaît chez Nietzsche, comme une caractéristique propre du christianisme et du judaïsme. Dans le paysage judaïque, affirme-t-il, « un Jésus-Christ ne pouvait être possible[3]. » Ce paysage, Nietzsche le caricature « comme la sombre et sublime nuée d’orage de Jehova en colère.[4] » Ici, nous relevons deux choses : la nuée qui personnifie la présence de Dieu d’une part, et de l’autre, la colère de Dieu ; le dieu de l’Ancien Testament qui est présenté parfois comme le Dieu des armées, qui se met en colère parfois, de façon violente dans l’histoire et punit les pécheurs. Les adjectifs « sombre et sublime » expriment ce contraste entre la colère et les grandes œuvres de Dieu, qui sont sublimes. Pour ce maître de la métaphore qu’est Nietzsche, le Christ vient égayer le ciel obscur, « comme un miracle de l’amour, comme un rayon de la grâce la plus imméritée.[5] » Quelle belle pluie d’images ! Nietzsche voit le Christ comme « un rêve d’arc-en-ciel[6] » ; son incarnation comme « une échelle céleste sur laquelle Dieu descendait vers les hommes[7] » En un mot, il était l’exception dans cette grisaille.

Un autre texte majeur où Nietzsche parle du Christ, est tiré de l’Antéchrist[8] n°39. Il nous raconte la véritable histoire du Christianisme. Dans un passage précédent Nietzsche avait soutenu que le premier chrétien était St Paul. Ici, dans ce texte, il se rétracte pour affirmer qu’il n’y a eu qu’un seul chrétien, Jésus-Christ, et ce seul chrétien est mort sur la croix. Jésus est aux yeux de Nietzsche un évangile. Après lui, tout ce qui est appelé évangile est un dysangelium, un kataévangélium, une mauvaise nouvelle. Puis Nietzsche s’en prend à St Paul, l’auteur qui a fait du salut par la foi, le signe distinctif du chrétien. Nietzsche argumente, en nous disant que seul le Jésus-Christ a vécu en chrétien. Nous reviendrons sur cette affirmation qu’il n’y a jamais eu de chrétiens, quand nous aborderons la question de la généalogie nietzschéenne des chrétiens.

Dans le même ouvrage[9] au numéro 41, Nietzsche trouve absurde l’idée selon laquelle Dieu a donné son fils, en sacrifice, pour le pardon des péchés. L’idée de sacrifice, surtout du sacrifice expiatoire, est répugnante, selon notre généalogiste. Il s’agit pour lui d’une régression vers le paganisme. L’exégète Nietzsche dit que Jésus-Christ a aboli le péché, nié l’abîme entre Dieu et l’homme. Jésus-Christ est le seul qui ait vécu cette unicité entre Dieu et l’homme, et cela était une bonne nouvelle. En théologien, Nietzsche évacue de la question du salut, le jugement et la parousie, la mort par le sacrifice et la résurrection. Or, il semble que pour lui, la béatitude soit la seule réalité de l’évangile.

Après la lecture de ces textes majeurs sur la généalogie nietzschéenne du Christ, il nous reste à découvrir d’autres aspects de ce personnage unique, au travers de textes secondaires.

Nietzsche écrit dans un chapitre sur la vie religieuse d’Humain trop humain[10] I, que le Christ s’est pris pour le célèbre fondateur du christianisme, ou encore pour le fils de Dieu incarné, ou encore pour une personne exempte du péché. Ensuite Nietzsche affirme que l’Antiquité fourmille de fils de Dieu. Cette idée est, de nos jours, partagée par Paul Diel, quand il écrit : « Tout homme est symboliquement ‘fils de dieu’. Mais aucun homme et aucun dieu ne peut être à la fois dieu et entièrement homme. Même réellement existant, un Dieu tout puissant ne pourrait faire pareil miracle[11]. » Nietzsche et Diel sont d’accord pour affirmer qu’un homme-dieu ne peut être parfaitement homme, car, « un homme qui serait Dieu ne serait pas un homme comme tous les autres hommes[12]. »

Toujours dans Humain trop humain I, au chapitre intitulé « caractères de haute et basse civilisation », le Christ est vu, par Nietzsche, comme celui qui a freiné la production de la grande intelligence[13]. Nietzsche le voit aussi comme l’homme le plus noble[14], dans Humain trop humain I. Dans la seconde partie, au chapitre « opinions et sentences mêlées »au numéro 96, notre généalogiste parle du christianisme accompli qui consiste à réaliser la vertu et la perfection. Mais pour lui, le psychologue et le chrétien sont en désaccord pour qui concerne l’amour des ennemis. Pour Nietzsche, toutes les promesses du Christ telles que « soyez parfaits comme votre père céleste est parfait » ou encore celle-ci « la vie terrestre et une vie bienheureuse » sont des erreurs[15].

A propos de la justice terrestre, Nietzsche soutient que le fondateur du christianisme veut supprimer cette religion et « extirper du monde le jugement et la punition[16].» Si nous remontons à un texte au dessus, le Christ est présenté comme le plus pieux de tous les hommes, et a laissé échappé cette parole amère : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné [17]? » L’abandon du Christ semble une situation pleine d’amertume chez Nietzsche. Mais ce verset du Psaume n’est que le premier, et est un psaume plein de confiance ; le psalmiste finit dans la pleine confiance en Dieu : « Et tu m’as réponds et je proclame ton nom parmi mes frères, je te loue en pleine assemblée. »

A la page suivante, Nietzsche voit Jésus-Christ comme un Sauveur et un Médecin[18]. « Le fondateur du christianisme, écrit-il, est médecin de l’âme ». Il avait de graves défauts et de grands préjugés, ajoute-t-il. Il utilisait des méthodes brutales pour lutter contre le péché. Ensuite Nietzsche considère Socrate comme supérieur au Christ, le fondateur du christianisme, par « sa joyeuse façon d’être sérieux et par cette sagesse pleine espièglerie qui est le plus bel état d’âme de l’homme[19]. » Il est aussi plus intelligent, ajoute-t-il.

La vengeance chrétienne contre Rome est un chapitre d’Aurore, au livre premier, numéro 71. Nietzsche montre comment dans la généalogie des chrétiens, ceux-ci ont pris leur revanche sur les païens et, depuis Constantin, n’ont plus lâché prise. Le Messie que Nietzsche présente comme « le juif crucifié », « le symbole du salut », apparaît comme la plus profonde dérision, en face des préteurs romains[20]. Un peu plus loin, notre généalogiste revient à la charge dans le chapitre « la connaissance de celui qui souffre ». Au livre deuxième d’Aurore, Nietzsche pense que le Christ est clairvoyant sur lui-même[21]. Cette clairvoyance n’a pas empêché Nietzsche de commettre des erreurs.

Au livre troisième du Gai Savoir, au numéro 138, Nietzsche parle de l’erreur du Christ. Celle-ci consiste à soutenir que « rien ne faisait souffrir davantage les hommes que leurs péchés.[22] » Son erreur, c’est de se sentir sans péché. Nietzsche ajoute qu’il manquait d’expérience. Son âme d’être de pitié était un grand mal. Finalement au n° 140, Nietzsche reproche au Christ de n’avoir pas eu un sens assez subtil, car il était juif[23].

Fin de cette partie

Publié par Dr AKE Patrice Jean, ce 29 juin 2009 dans http://pakejean16.spaces.live.com à 19h16


[1] NIETZSCHE(Friedrich).- Aurore. Livre premier n° 84, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 1018

[2] NIETZSCHE(Friedrich).- Aurore. Livre premier n° 84, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 1018

[3] NIETZSCHE(Friedrich).- Le Gai Savoir. Livre troisième n° 137, dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 137

[4] NIETZSCHE(Friedrich).- Le Gai Savoir. Livre troisième n° 137, dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 137

[5] NIETZSCHE(Friedrich).- Le Gai Savoir. Livre troisième n° 137, dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 137

[6] NIETZSCHE(Friedrich).- Le Gai Savoir. Livre troisième n° 137, dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 137

[7] NIETZSCHE(Friedrich).- Le Gai Savoir. Livre troisième n° 137, dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 137

[8] NIETZSCHE(Friedrich).- L’Antéchrist n° 39 dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 1072

[9] NIETZSCHE(Friedrich).- L’Antéchrist n° 41 dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 1075

[10] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain I, « la vie religieuse », n° 144, dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), pp. 524-525

[11] DIEL(Paul).- Le symbolisme dans la Bible. L’universalité du langage symbolique et sa signification psychologique. (Paris, Payot, 1975), p. 36

[12] DIEL(Paul).- Le symbolisme dans la Bible. L’universalité du langage symbolique et sa signification psychologique. (Paris, Payot, 1975), p. 36

[13] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain I, « caractères de haute et basse civilisation », n° 235, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 567

[14] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain II, Coup d’œil sur l’Etat n° 475, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 652

[15] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain II, Opinions et sentences mêlées » n° 96, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 734

[16] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain II, le voyageur et son ombre n° 81, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 865

[17] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain II, le voyageur et son ombre n° 81, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 865

[18] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain II, le voyageur et son ombre n° 83, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 866

[19] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain II, le voyageur et son ombre n° 86, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 868

[20] NIETZSCHE(Friedrich).- Aurore, livre premier n° 71, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 1010

[21] NIETZSCHE(Friedrich).- Aurore, livre deuxième n° 114, dans Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 1037

[22] NIETZSCHE(Friedrich).- Aurore, livre troisième n° 138, dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 138

[23] NIETZSCHE(Friedrich).- Aurore, livre troisième n° 140, dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 138

samedi 27 juin 2009

GENEALOGIE NIETZSCHEENNE DU CHRIST ET DES CHRETIENS1

GENEALOGIE NIETZSCHEENNE DU CHRIST ET DES CHRETIENS1

Par Dr AKE Patrice Jean, Maître-assistant à l’UFR-SHS de l’Université de Cocody, pakejean@yahoo.fr

INTRODUCTION(Suite)

Un chapitre de ce travail reviendra sur la présentation complète de la méthode généalogique. Toutes les citations du texte biblique se feront à partir de la traduction œcuménique de la bible. Pour l’heure, intéressons-nous à l’objet de notre recherche, « le Christ et les chrétiens ». Notre problématique voudrait tenir dans la contraction suivante : « Jésus-Christ n’est pas venu abolir le mythe, mais l’accomplir. On ne doit pas commencer par nier l’existence du mythe dans l’Evangile, écrit Eboussi Boulaga[1]. » Le mythe, poursuit ce philosophe et théologien africain, est au-delà de l’alternative de la bonne et de la mauvaise foi, de la vérité ou de l’erreur, de la véracité ou du mensonge[2]. C’est de ce point de vue que nous avons voulu relire le Christ et les chrétiens selon Nietzsche, c’est-à-dire, expliciter et fonder une critique et une reprise nietzschéenne de cette approche.

A la suite d’Eboussi Boulaga[3], nous remarquons que l’Evangile commence par la généalogie, une méthode chère à Nietzsche. Jésus-Christ n’est pas l’individu seul. Il se caractérise par le lien qui l’unit à d’autres hommes, par la solidarité avec les membres de la même tribu ou du même lignage. L’histoire est une succession de générations. Chacun hérite des promesses et des bénédictions accordées aux ancêtres, de même que des grâces et des fautes de la précédente. En s’insérant dans cette continuité, l’homme se découvre comme tâche. Il se reçoit, mais il doit aussi transmettre, il est à la fois terme et commencement : les fils deviennent père à leur tour. Et Eboussi Boulaga d’ajouter, « la personne est parfaitement elle-même quand elle est présence de ce qui n’est plus et de ce qui n’est pas encore, quand elle accomplit et annonce tout ensemble[4]. » Elle se réalise conformément aux figures anciennes, mieux elle les actualise, les renouvelle, fait-il remarquer. Puisque faire la généalogie de Jésus, c’est utiliser la méthode de Nietzsche pour connaître ce personnage unique, nous en venons à la première partie de ce texte : le Christ vu par Nietzsche.

1. LE CHRIST VU PAR NIETZSCHE

Nous utiliserons notre auteur dans ses œuvres complètes en 2 volumes, parus aux éditions Robert Laffont dans la collection Bouquin pour toutes nos citations. Dans un passage d’un ouvrage de David F. Strauss intitulé Der alte und deu neue Glaube que Nietzsche reprend, le Jésus-Christ est vu comme un vieux anachorète et un saint d’autrefois. Selon Nietzsche, citant Strauss, « Jésus devrait être présenté comme un exalté qui, de nos jours, échapperait difficilement à l’asile, et l’anecdote de la résurrection du Christ mériterait d’être qualifiée de « christianisme historique[5]. » Nietzsche laisse passer pour une fois cette estocade, pour s’en prendre à son auteur lui-même. Il stigmatise sa lâcheté naturelle, son philistinisme et son agressivité : il conclut en le traitant de généalogiste du singe. Quittons l’insulte pour l’argument.

Le Christ est cité pour la seconde fois par Nietzsche dans Humain trop Humain I. Il est question ici de sa mort et de sa passion et de ceux que cette situation plonge dans la mélancolie et dans la tristesse. Ces hypocondres chrétiens, comme Nietzsche les appelle, sont des malades, parce qu’il s’agit de personnes seules, en proie à l’émotion religieuse[6].

Lorsqu’il s’en prend au génie et à l’idéal de l’Etat, Nietzsche loue le Christ comme celui qui a « le cœur le plus ardent[7] ». Mais Nietzsche déconstruit aussitôt cette figure car Jésus-Christ lui apparaît comme celui qui « encouragea l’abêtissement des hommes, se mit du côté des pauvres d’esprit et freina la production de la grande intelligence[8]. » Contre figure du Christ, Nietzsche propose la figure du « sage parfait[9]. »

A propos de la question du jugement, Nietzsche reprend une injonction du Christ dans l’Evangile de Matthieu : « Ne vous posez pas en juges, afin de n’être pas jugés ; car la façon dont vous jugez qu’on vous jugera, et c’est dans la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous[10]. » Ce passage que Nietzsche va tronquer volontairement, va lui servir d’argument dans un texte de Humain trop Humain II, au chapitre sur les opinions et sentences mêlées, au numéro 33. Le texte a pour titre « vouloir être juste et vouloir être juge ». Nietzsche s’extasie devant la morale de Schopenhauer qu’il considère comme le cerveau philosophique par excellence. S’interrogeant sur la responsabilité devant le péché, notre généalogiste soutient que personne n’est responsable. Il préconise alors de ne point juger, et de ne point accuser l’individu. Nous baignons alors dans l’innocence du devenir. Chez Nietzsche, celui qu’on doit accuser, ce n’est pas l’homme, mais Dieu. En effet, écrit-il, « que ce soit donc Dieu le pécheur et l’homme son sauveur[11]. »

Le texte « comédie et bonne foi des croyants » du chapitre « opinions et sentences mêlés » de Humain trop humain II, prolonge la réflexion du texte précédent. Nietzsche nous parle du livre qui parle du christ, comme d’un livre qui relate avec abondance et candeur, de ce qui peut faire du bien à tous les hommes, c’est-à-dire « la ferveur bienheureuse et exaltée, prête au sacrifice et à la mort, dans la foi et la contemplation de la vérité (chrétienne)[12]. » Comparé aux livres de science, la bible fait piètre figure, pour Nietzsche. Il ajoute qu’il est un livre pour gens obscurs, pour des pauvres d’esprit. Au final, Nietzsche écrit que la bible n’est pas un joyeux message, sinon, la vérité biblique se serait imposée d’elle-même ; elle n’a pas besoin d’entêtement. Voilà pourquoi Nietzsche annonce la naissance d’une nouvelle bible. Il conclut en disant que Jésus-Christ a manqué son entreprise d’évangélisation.

Après cette présentation du Christ dans Humain trop humain, Nietzsche poursuit son analyse dans Aurore[13]. Le texte sur le premier chrétien ne parle pas essentiellement du Christ, mais de Paul, « une des âmes les plus ambitieuses et des plus importunes, bref un esprit aussi plein de superstition, que d’astuce » et de la bible, « production littéraire du St Esprit,…un livre qui permet à l’homme de s’édifier, pour trouver à sa propre misère, grande ou petite, un mot de consolation. Ici, le Christ de Nietzsche est le fondateur d’une « petite secte juive », « mort en croix » qui « rencontre Paul avec la gloire de Dieu sur son visage », « persécuté par Paul », ce que Nietzsche considère comme une absurdité. Jésus-Christ est mort sur la croix, « une mort ignominieuse ». Nous lisons une affirmation catastrophique de Nietzsche : « Dieu n’aurait jamais pu décider la mort du Christ si l’accomplissement de la loi avait été possible sans cette mort ».

Nous voudrions revenir sur cette exégèse tendancieuse du texte de St Paul aux Galates : « Des gens désireux de se faire remarquer dans l’ordre de la chair, voilà les gens qui vous imposent la circoncision. Leur seul but est de ne pas être persécutés à cause de la croix du Christ ; car, ceux-là même qui se font circonscrire n’observent pas la loi…Pour moi, non jamais d’autre titre de gloire que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ ; par elle, le monde est crucifié pour moi, comme moi pour le monde[14]. » Nietzsche a très mal comprit ce passage quand il qualifie Paul d’ « apôtre de l’anéantissement de la loi [15]»

L’apôtre Paul dans l’introduction à cette lettre, avait proclamé : le Christ, par sa mort, délivre les hommes du monde mauvais[16]. Pour conclure il affirme : le Christ, par sa croix, introduit les hommes dans une création nouvelle. En opposant celle-ci au monde ancien, st Paul montre une dernière fois aux Galates ce qui les sépare radicalement de ses adversaires. Ceux-ci sont du monde ancien : en prêchant la circoncision, ils cherchent à l’abri de la persécution et à s’enorgueillir du succès de leur propagande religieuse ; leur sécurité et leur fierté sont celles d’un monde « charnel », refermé sur lui-même et séparé de son Créateur. St Paul, au contraire, ne tire sa joie et son assurance que de la croix du Christ, car, c’est elle seule, qui le libère totalement ; elle lui donne d’échapper à l’attrait asservissant du monde qui désormais est mort pour lui ; elle lui donne d’échapper au souci d’assurer la sécurité de son moi charnel qui a été crucifié avec le Christ. Pour l’apôtre, il s’agit uniquement de recevoir la grâce du Christ et d’être ainsi introduit dans la nouvelle création, afin d’y vivre pour Dieu, en union à son Fils ressuscité.

A suivre…

Comment citer cet article :

Dr AKE Patrice Jean, Maître-assistant de Philosophie à l’UFR-SHS de l’Université de Cocody « Généalogie nietzschéenne du Christ et des chrétiens1 » publié dans http://pakejean16.spaces.live.com ce samedi 26 juin 2009 à 18H


[1] EBOUSSI BOULAGA(Fabien).- Christianisme sans fétiche. Révélation et domination. (Paris, Présence Africaine 1981), p. 128

[2] EBOUSSI BOULAGA(Fabien).- Christianisme sans fétiche. Révélation et domination. (Paris, Présence Africaine 1981), p. 128

[3] EBOUSSI BOULAGA(Fabien).- Christianisme sans fétiche. Révélation et domination. (Paris, Présence Africaine 1981), p. 129

[4] EBOUSSI BOULAGA(Fabien).- Christianisme sans fétiche. Révélation et domination. (Paris, Présence Africaine 1981), p. 129

[5] NIETZSCHE(Friedrich).- Considérations Inactuelles I. David Strauss, le Confesseur et l’écrivain 7 dans les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), p. 179

[6] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain I. Pour servir à l’histoire des sentiments moraux n° 47 dans les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), p. 473

[7] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain I. Caractères de haute et basse civilisation n° 235 dans les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), p. 567

[8] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain I. Caractères de haute et basse civilisation n° 235 dans les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), p. 567

[9] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain I. Caractères de haute et basse civilisation n° 235 dans les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), p. 567

[10] Mt7,1-2 traduction œcuménique de la Bible

[11] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain II. Opinions et sentences mêlés n° 33 dans les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), pp. 718-719

[12] NIETZSCHE(Friedrich).- Humain trop humain II. Opinions et sentences mêlés n° 98 dans les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), p. 735

[13] NIETZSCHE(Friedrich).- Aurore livre premier n° 68 les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), p. 1007

[14] Galates 6,12ss…

[15] NIETZSCHE(Friedrich).- Aurore livre premier n° 68 les Œuvres Complètes I, (Paris, Robert Laffont, 1993), p. 1008

[16] Rm1,4

jeudi 25 juin 2009

GENEALOGIE NIETZSCHENNE DU CHRIST ET DES CHRETIENS

GENEALOGIE NIETZSCHEENNE DU CHRIST ET DES CHRETIENS

Par Dr AKE Patrice Jean, Maître-assistant à l’UFR-SHS de l’Université de Cocody, pakejean@yahoo.fr

INTRODUCTION

Cet article a pour titre « Généalogie nietzschéenne du Christ et des chrétiens ». Titre surprenant peut-être, mais pas pour les habitués de l’Evangile. Quand nous ouvrons par exemple celui de St Mathieu, nous trouvons écrit comme titre du premier chapitre « Généalogie de Jésus-Christ[1] » Ce texte a un correspondant synoptique en Luc[2]. Ici, le mot généalogie renvoie  aux origines de Jésus-Christ, à la genèse de Jésus-Christ. En calquant le mot généalogie sur celui qui commence le récit de la descendance du premier homme – voici le livre de la généalogie d’Adam[3], Mt suggère que Jésus, en ouvrant le titre d’une nouvelle généalogie, prend la place d’Adam[4]. Cependant l’histoire rapportée ici est celle, non de sa descendance, mais de son ascendance : en Jésus, l’histoire passée d’Israël trouve son sens. Cependant quel rapport, à ce niveau, pouvons-nous établir entre la généalogie de Mt avec celle de Lc ?

Dans le passage de St Lc, Jésus semble avoir été reconnu comme fils de David par quelques-uns de ses contemporains[5]. Il est proclamé tel par la prédication apostolique[6], et par une très ancienne confession de foi[7]. La généalogie de Mt et celle de Lc exposent cette descendance davidique de Jésus qui fonde sa légitimité messianique. Bien que Mt et Lc rapportent la naissance virginale de Jésus, ils présentent l’un et l’autre sa généalogie par Joseph, car l’A.T. n’établit jamais la descendance que par les hommes.

Les deux généalogies sont différentes et assez artificielles, comme le sont souvent les généalogies de l’époque. Elles se rencontrent sur les pères d’Abraham à David, sur Salathiel et Zorobabel au retour de l’exil, et sur Joseph père de Jésus. Mt compte 3×14 (=42) générations d’Abraham à Jésus, en passant par les rois de Juda ; Lc en compte 11×7 (=77) de Jésus à Adam, sans nommer d’autre roi que David.

A la différence de Mt qui place la généalogie de Jésus au début de son livre, Lc ne veut indiquer la descendance humaine de Jésus qu’après avoir rapporté sa filiation divine[8]. Il tient à rattacher Jésus à Adam, et non à Abraham, pour marquer son lien à l’humanité tout entière[9]. Il ne mentionne aucun roi entre David et Salathiel, mais plutôt des noms de prophètes, sans doute par réaction contre le messianisme temporel. Quand Nietzsche décide de parler de généalogie de Jésus-Christ et des chrétiens, que veut-il faire ?

Généralement, du grec genealogein, le mot généalogie, comme notion philosophique[10]signifie raconter les origines. Il suppose un type de savoir déterminé par le sens et la valeur des groupes familiaux pour la constitution de l’univers social, d’où le prolongement de l’intérêt d’établir aussi la généalogie tant des dieux immortels que des héros immortalisés dans le domaine mythologique. A ce titre la Théogonie d’Hésiode est une généalogie. Cette généalogie des dieux sert à comprendre la généalogie des êtres dans les divers domaines du réel. Le français va être l’héritier de la genealogia grecque grâce à la médiation du bas latin. Tout en maintenant dans la langue courante sa signification générale de suite d’ancêtres établissant une filiation, le terme généalogie désigne depuis le XVIIè siècle, la science auxiliaire de l’histoire s’occupant du dénombrement des ancêtres d’une famille ou d’un individu. Nous n’allons pas aborder le sens de la notion de généalogie chez Darwin dans le cadre de cet article, mais aller directement chez Nietzsche. Quel sens ce dernier philosophe cité accorde-t-il au mot généalogie, surtout dans l’ouvrage qu’il a appelé Généalogie de la Morale?

Dans l’introduction à l’ouvrage Généalogie de la morale, Henri Albert[11] pense que la définition du mot généalogie n’est pas aussi explicite. L’auteur souligne que la généalogie questionne moins l’avenir que le passé de la morale, son origine et son histoire encore mal éclaircies et enracinées dans un sous-sol ténébreux. La généalogie questionne reconstitue l’ascendance de la morale. Il convient d’approfondir cette idée : quelle est véritablement la méthode généalogique ?

Eric Blondel[12] que nous avons consulté sur la question considère la notion de généalogie comme une problématique développée par Nietzsche. Le but de sa pensée, poursuit notre commentateur, c’est la recherche de nouvelles voies pour la culture, contrepartie d’une critique de la culture dominante, la culture platonico-chrétienne. Dans cette perspective, Nietzsche met en cause les idéaux de cette culture, tels qu’ils se traduisent dans une morale, une science, une religion, une philosophie, des conceptions politiques dominantes pendant plus de vingt siècles : il cherche à en établir l’unité sous ces diverses manifestations et la permanence tout au long d’une histoire bimillénaire. La méthode généalogique n’est pas une originalité nietzschéenne, mais elle prend sa source dans la tradition platonicienne.

Poursuivant son analyse, après avoir dégagé la généalogie de ses sources platoniciennes, kantiennes et schopenhaueriennes, Blondel arrive à dire que la généalogie est une hétérologie. D’où son ambigüité, son impossibilité, qui sont celles, radicalement de la pensée de Nietzsche comme pensée de la culture et du corps. La généalogie se développe alors comme une histoire naturelle, une psychologie, une interprétation-philologie et une évaluation.

A suivre…

Comment citer cet article :

Dr AKE Patrice Jean, Maître-assistant de Philosophie à l’UFR-SHS de l’Université de Cocody « Généalogie nietzschéenne du Christ et des chrétiens » publié dans http://pakejean16.spaces.live.com ce Jeudi 25 juin 2009 à 19H20


[1] Mt 1,1-17 selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[2] Lc 3, 23-38, selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[3] Gn 5, 1, selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[4] Lc3, 38 selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[5] Mc 10,47-48 ; 11,10 et par. Selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[6] Ac 2,29-32 ; 13,22-23 selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[7] Rm 1,3-4 selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[8] Lc1, 35 ; 3,22 selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[9] Ac17, 26.31 selon la traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.)

[10] BAUER(Edgar).- « généalogie » dans Dictionnaire des notions philosophiques. Encyclopédie philosophique Universelle. Tome I, (Paris, PUF, 1990), pp. 1044 à 1046

[11] ALBERT(Henri).- Introduction à La généalogie de la Morale dans Œuvres Complètes II, (Paris, Robert Laffont 1993), p. 741

[12] BLONDEL(Eric).- « La question de la généalogie » dans L’univers philosophique. Encyclopédie Philosophique Universelle 1, (Paris, PUF 1989), p. 715

vendredi 5 juin 2009

PENTECOTE 2009

PENTECOTE 2009

Père AKE Patrice Jean, Vice-président de l’UCAO-UUA

          Nous célébrons aujourd’hui la Solennité de la Pentecôte, au terme des fêtes pascales. Le récit de cet événement, que nous avons écouté dans la première lecture, est rapporté par saint Luc, dans le deuxième chapitre des Actes des Apôtres. La première chose à retenir de ce texte est celle-ci : Jérusalem est la ville du don de l'Esprit : elle n'est pas seulement la ville où Jésus a institué l'Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l'Esprit a été répandu sur l'humanité. A l'époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c'était la fête du don de la loi, l'une des trois fêtes de l'année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. La première ligne du texte d'aujourd'hui nous le rappelle : « Quand arriva la Pentecôte, ils se trouvaient réunis tous ensemble».

          Bien sûr, Luc ici parle des disciples ; mais la suite du texte dit bien que la ville de Jérusalem grouillait de monde venu de partout, des milliers de juifs pieux venus parfois de très loin : « il y avait, séjournant à Jérusalem, des juifs fervents issus de toutes les nations qui sont sous le ciel »... On est donc très nombreux à Jérusalem l'année de la mort de Jésus : j'ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa résurrection ; car celle-ci pour l'instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n'ont probablement jamais entendu parler d'un certain Jésus de Nazareth ; cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n'est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l'enthousiasme d'un pèlerinage pour renouveler l'Alliance avec Dieu.

          Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu'ils reconnaissent comme « Christ », c'est-à-dire « Messie », celui qu'ils ont vu entendu, touché... après sa résurrection... cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n'est comme avant... Ce qui ne veut pas dire qu'ils s'attendent à ce qui va se passer !

          Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu'il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l'Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l'épisode de la tour de Babel ...

          Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « pareil à celui d'un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s'était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l'Exode (chap. 19) : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d'un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. La montagne du Sinaï n'était que fumée, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu ; sa fumée monta comme le feu d'une fournaise, et toute la montagne trembla violemment ... Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre ».

          En s'inscrivant dans la ligne de l'événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu'un pèlerinage traditionnel : c'est un nouveau Sinaï ; comme Dieu avait donné sa loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l'Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple... et là on réentend les paroles d'Ezéchiel par exemple : « Je mettrai en vous mon propre esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes...vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Désormais la loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l'oublier) désormais cette loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, le cœur de l'homme.

          Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : on la trouve au chapitre 3 : « Je répandrai mon esprit sur toute chair », dit Dieu (« toute chair » c'est-à-dire tout être humain) : l'énumération des nationalités représentées à Jérusalem cette année-là et la précision qu'il s'y trouvait « des juifs, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel » nous montrent que la prophétie de Joël est accomplie.

          Troisièmement, l'épisode de Babel : vous vous souvenez de l'histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d'entreprendre une grande œuvre qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d'une tour immense... Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus... Nous nous demandons souvent ce qu'il faut en conclure ?... Si on veut bien ne pas faire de procès d'intention à Dieu, impossible d'imaginer qu'il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur... Donc, si Dieu intervient, c'est pour épargner à l'humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l'unité, c'est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l'unité n'est pas dans l'uniformité ! La véritable unité de l'amour ne peut se trouver que dans la diversité. Et si la création vous est confiée, c'est pour développer non pas un seul projet en un seul point de l'univers, mais d'innombrables projets dans la diversité de vos richesses et de votre imagination créatrice. ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s'inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l'humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l'unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l'unique message : les merveilles de Dieu.

          Ce message est parvenu dans nos oreilles à l’UCAO-UUA. Nous aussi avons reçu l’Esprit-Saint au Baptême. Puissions-nous entendre cette langue universelle de l’amour. Le commandement de nous aimer les uns les autres est simple, mais parfois difficile. Cependant, il est en notre pouvoir. Par la présence de l’Esprit Saint en nous, tendons nos mains aux autres que nous n’aimons pas assez. A la suite de St Paul dans la deuxième lecture, abandonnons les tendances de la chair pour celles de l’Esprit. Imitons le Christ qui est amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi. Soyons des témoins du Christ, car désormais nous sommes en première ligne, grâce à l’Esprit Saint qui nous est donné.

          En cette fête de l’Esprit et de l’Eglise, rendons grâce à Dieu pour avoir donné à son peuple choisi et formé parmi toutes les nations, le bien inestimable de la paix, de sa paix ! Dans le même temps, nous renouvelons la prise de conscience de la responsabilité qui est liée à ce don : la responsabilité de l’Eglise d’être constitutionnellement signe et instrument de la paix de Dieu pour tous les peuples. L’UCAO-UUA a cherché à se faire l’intermédiaire de ce message en décernant un prix de paix et de solidarité au Président de la République. Mais ce n’est pas seulement à cet événement « au sommet » que l’on doit penser. L'Eglise réalise son service à la paix du Christ en particulier à travers sa présence et son action ordinaire parmi les hommes, avec la prédication de l'Evangile et avec les signes d'amour et de miséricorde qui l'accompagnent (cf. Mc 16, 20).

          Parmi ces signes, il faut naturellement souligner principalement le Sacrement de la réconciliation, que le Christ ressuscité institua au moment même où il fit don aux disciples de sa paix et de son Esprit. Comme nous l'avons entendu dans la page évangélique, Jésus souffla sur les apôtres et dit: « Recevez l'Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus » (Jn 20, 21-23). Comme le don de la réconciliation, qui n'est malheureusement pas suffisamment compris, est important, car il pacifie les cœurs! La paix du Christ ne se diffuse qu'à travers des cœurs renouvelés d'hommes et de femmes réconciliés et devenus serviteurs de la justice, prêts à diffuser la paix dans le monde grâce à la seule force de la vérité, sans jamais faire de compromis  avec  la  mentalité  du monde, car le monde ne peut pas donner la paix du Christ:  voilà comment l'Eglise peut-être le ferment de cette réconciliation qui vient de Dieu. Elle ne peut l'être que si elle reste docile à l'Esprit et rend témoignage à l'Evangile, que si elle porte la Croix comme Jésus et avec lui. C'est précisément ce dont témoignent les saints et les saintes de chaque époque!

          Chers frères et sœurs, à la lumière de cette Parole de vie, que la prière que nous élevons aujourd'hui à Dieu en union spirituelle avec la Vierge Marie devienne encore plus fervente et intense. Que la Vierge de l'écoute, la Mère de l'Eglise, obtienne pour nos communautés et pour tous les chrétiens une effusion renouvelée de l'Esprit Saint Paraclet. " Envoie ton Esprit, tout sera à nouveau créé et tu renouvelleras la face de la terre". Amen!

Veillée pascale 2008 UCAOUUA17