INTRODUCTION
Un vaste plan de sauvetage des banques américaines a été promulgué ce vendredi 3 Octobre 2008, par le président George W. Bush, peu après avoir été adopté par la Chambre des représentants et deux jours après l'aval du Sénat, une mesure attendue par les places boursières du monde entier. Ce plan de 700 milliards de dollars donne au Trésor américain des moyens historiques pour intervenir sur le secteur financier. La Chambre a approuvé vendredi par 263 voix contre 171 cette "Loi de stabilisation économique d'urgence 2008" de 850 milliards de dollars en tout, si l'on compte le coût des amendements divers ajoutés au cours d'âpres négociations pour satisfaire les élus récalcitrants. Le président américain George W. Bush a immédiatement jugé ce plan "essentiel pour aider l'économie américaine à survivre à la tempête financière" mais a averti que "cela prendrait du temps" avant que les effets du plan ne se fassent sentir.
La science économique élabore des modèles des phénomènes sociaux. Par modèle, nous entendons une représentation simplifiée de la réalité[1]. La crise financière internationale, en ce mois d’octobre 2008, continue d’affecter sérieusement l’économie mondiale et les populations les plus fragiles. L’intégration financière mondiale comportait de nombreux avantages, mais rendait les pays plus vulnérables aux risques cachés et aux sautes d’humeur des investisseurs[2]. Des mouvements de capitaux privés instables semblaient être associés aux taux de croissance fluctuants qui affectaient surtout les pauvres (ceux-ci manquant des ressources requises pour surmonter les tempêtes économiques[3].
En raison de leurs manque d’actifs, les pauvres ont plus de mal que les riches à ralentir leur consommation en période difficile. Proches du minimum de survie, ils travaillent généralement dans les secteurs touchés de plein fouet par les cycles économiques (agriculture, construction). La finance devient alors clé de la mondialisation car l’absence des marchés financiers fait peser une grave menace sur la paix. Il faudrait une meilleure réglementation des marchés financiers, puisque le développement de la finance risque de suivre une logique toujours plus auto-préférentielle sans lien avec la base réelle de l’économie[4]. De plus tous les acteurs doivent être recentrés sur l’économie. En effet, une économie financière qui est une fin en soi, est destinée à contredire ses finalités, car elle se prive de ses propres racines et de sa propre raison constitutive, et par là de son rôle originel et essentiel de service de l’économie réelle et, en définitive, de développements des personnes et des communautés humaines.[5]Voilà pourquoi, plus le système économique et financier mondial atteint des niveaux élevés de complexité fonctionnelle et d’organisation, plus le devoir de réguler ces processus, apparaît prioritaire, pour les finaliser à la poursuite du bien commun de la famille humaine[6].
La crise actuelle est d’un caractère particulier qui contraste avec les précédentes, car il s’agit d’une crise structurale, longue et qui affecte la création des richesses. Il s’agit des déséquilibres dans le système, notamment la disjonction entre la finance et l’économie. Les marchés financiers qui jouent un rôle essentiel dans le développement de l’économie doivent impérativement faire l’objet d’une régulation appropriée. Or nous assistons aujourd’hui à une crise qui fait tache d’huile dans la sphère des établissements financiers. Elle résulte de pratiques financières complexes et sème des laissés-pour-compte dont le sort ne peut laisser indifférent. Il existe un effet de cascade par lequel des difficultés originellement limitées s’étendent par contagion à l’ensemble de la planète financière et même à l’économie réelle. En même temps, et par delà la crise des subprimes aux Etats-Unis, est apparue une autre crise : celle des matières premières, amplifiée par la spéculation. Contrairement à ce que nous pensons peut-être, nous sommes tous concernés par ces deux crises, les responsables des organismes financiers comme chacun d’entre nous.
1. A L’ORIGINE DE LA CRISE FINANCIERE :
1.1. LA QUESTION DES SUBPRIMES
La crise qui a éclaté au cours de l’année 2007 trouve son origine dans la diffusion massive de crédits immobiliers aux Etats-Unis. Tant que le marché américain de l’immobilier était en croissance, des prêts immobiliers hypothécaires à risque (de catégories « subprimes », c’est-à-dire des prêts accordés à des emprunteurs à la situation financière fragile) ont été consentis en masse ; les organismes prêteurs prévoyant, en cas de défaillance des emprunteurs, de se rembourser des crédits accordés par la revente des immeubles financiers.
Pour accroitre leur volume d’opérations sans prendre davantage de risques, ces organismes ont « titrisé » une partie de ces financements. Les titres sont des instruments financiers qui donnent droit à certains flux de revenus. Il existe de nombreux types de titres financiers, parce que les gens désirent différents types de paiements. Les marchés financiers offrent aux gens la possibilité d’échanger différents « cash flow » au fil des temps. Ces « cash flow » sont généralement utilisés pour financer la consommation au cours de l’une ou l’autre période[7].
Les organismes ont revendu ces titres à des établissements financiers et à des fonds de placements, entre autres. Ces opérations avaient l’avantage pour les prêteurs de les délester d’une grande partie de leur portefeuille de crédits et leur permettaient de continuer à prêter à de nouveaux emprunteurs. L’ensemble a été rendue possible en raison de l’abondance de liquidités dans le monde. Beaucoup d’investisseurs financiers en de nombreux pays d’Europe et plus tard la Chine, la Russie, les pays du Golfe ou Singapour (par des fonds souverains), ont acheté ces titres qui offraient un rendement élevé et bénéficiaient d’une note de qualité de la part d’agences de notation. Ces agences de rating ou notation, en effet, attribuaient aux instruments financiers une note qui reflétait leur qualité.
La titrisation permettait ainsi une mutualisation des risques et engendrait une appréciable fluidité du marché financier, mais elle présentait l’inconvénient de créer un risque systémique dont les acteurs individuels n’évaluaient pas l’ampleur (On fait état de 2 millions de personnes environ en 2007-2008). Ce risque à effet domino déstabilisait l’ensemble du système.
1.2. La défaillance des emprunteurs
A partir de 2006, le marché de l’immobilier américain commençait à plafonner et même à enregistrer une baisse. Les ménages éprouvaient les difficultés à honorer les échéances de leurs emprunts du fait de l’augmentation des taux d’intérêt variables qui grimpaient après la période caractérisée par des taux très bas. La valeur patrimoniale des biens gagés (les logements) ne couvraient plus les créances, ce qui ne permettaient pas à l’emprunteur, soit de revendre le bien, soit de renégocier le calendrier de remboursement. Le schéma sur lequel étaient basés ces prêts hypothécaires s’effondrait.
Ainsi, le phénomène a mis en lumière les excès d’un marché immobilier dynamisé, au point de départ, par des taux d’intérêt variables qui étaient alors bas et par des prix de l’immobilier en constante progression. Les intermédiaires dont l’objectif était d’augmenter le volume de leurs opérations se sont adressés à des ménages dont la solvabilité était incertaine et qui se sont trouvés dans l’incapacité d’honorer leurs traites dès l’augmentation des taux d’intérêt.
1.3. Crédit et capacité d’emprunt
Aux Etats-Unis, le rapport à l’argent et au crédit est différent de l’Afrique. Le « prêt hypothécaire rechargeable » est un mécanisme qui traduit la confiance dans l’avenir. Il consiste en ce que les banques n’attendent pas qu’un crédit soit parvenu à son terme pour en proposer un autre. De même, lorsque la valeur du bien immobilier augmente, l’organisme de crédit offre la possibilité de nouveaux crédits (crédits immobiliers, crédits d’équipements ou crédits à la consommation) qui s’ajoutent au crédit précédent et ainsi de suite. De ce fait, l’emprunteur a souvent plusieurs crédits en cours. C’est une pratique courante qui fait dépendre la capacité d’emprunt des ménages de la valeur globale de leur patrimoine immobilier.
Cela constitue un danger pour les personnes qui empruntent ; d’autant plus que les habitudes de consommation ont poussé les ménages à utiliser ces facilités pour acheter toujours plus de biens de consommation et d’équipement. Dans le cas précédent et parmi ces ménages, les plus vulnérables n’étaient pas suffisamment n’étaient pas suffisamment avertis du risque encouru. Obligés de vendre leur logement, poussés à la rue, c’est pour eux que les conséquences ont été les plus dramatiques alors qu’ils pensaient accéder à la propriété de leurs logements.
1.4. La crise se propage sur le marché financier
Les techniques financières modernes, dont la tritrisation ont permis aux prêteurs immobiliers américains de diffuser leurs créances dans l’ensemble du système bancaire mondial. Les créances placées partout dans le monde par les banques et les sociétés financières, étaient largement détenues par des porteurs de titres qui attendaient le moment favorable pour les revendre en réalisant des plus values.
Les premières défaillances des acquéreurs de logement ont eu pour effet d’ébranler fortement la confiance du marché et la valeur de ces titres s’est rapidement effondrée. Dans l’ignorance de l’évolution du secteur immobilier américain et de l’ampleur des opérations en cause, les opérateurs inquiets, ont pesé sur le marché en cherchant à se délester de leurs titres.
De proche en proche, le système financier, qui repose sur la confiance entre les acteurs, s’est trouvé fragilisé. Ce qui caractérise la crise actuelle est que personne ne sait où est localisé le risque. Résultat, personne ne fait confiance à personne et tout le système entre en crise. Cela montre bien que tout le marché financier ne peut fonctionner sans la confiance.
Un à un les détenteurs des titres, établissements de crédit, fonds d’investissement spécialisés ont enregistré des pertes réelles (lors des ventes) ou potentielles (s’ils gardaient les titres en portefeuilles). Aussi les banques centrales (FED, BCE, Bank of England) ont-elles été amenées à intervenir pour sauver le système en y injectant des liquidités. De même, des opérations de recapitalisation ont été réalisées par plusieurs groupes bancaires de manière à reconsolider leur situation financière. Ces réactions rapides marquent la différence d’avec la crise de 1929.
Aujourd’hui, nul ne sait si la crise est maîtrisée, ni si l’on est en phase de stabilisation. En effet, les établissements financiers ne donnent des informations partielles ou tardives sur les pertes qu’ils enregistrent. L’inconscience des opérateurs qui imaginaient que le marché se régulerait tout seul atteint ici ses limites. Le marché n’a pas à lui seul toutes les vertus.
Il est vrai que l’endettement est un facteur de dynamisme : le marché permet en effet au crédit de financer des investissements susceptibles de maintenir, voire d’augmenter le taux de croissance. Mais des règles prudentielles efficaces voudraient davantage que les injections de fonds réparatrices pour restaurer la confiance sur laquelle tout le système repose.
Plusieurs Etats préparent une réforme pour éviter l’aggravation de la crise actuelle et l’apparition de nouvelles crises dans l’avenir. En effet, la crise de confiance sur le marché financier s’est traduite par le durcissement des conditions du crédit par les banques.
1.5. Une crise de type « subprime » peut-elle se produire en Afrique ?
Nous retrouvons ici une double question : celle de la demande de crédits immobiliers et celle du fonctionnement des établissements financiers. Même s’il est vrai que l’Afrique se distingue par une proportion de propriétaires inférieure à la moyenne, le désir très répandu de devenir propriétaire de son logement est un objectif qui incite les ménages à recourir au crédit immobilier hypothécaire. Sur ce marché, les conditions des prêts bancaires sont en Afrique, très contrôlées et dépendent du niveau de revenu et de solvabilité des emprunteurs. En règle générale les banques ne prêtent aux particuliers qu’une fraction de la valeur du bien acheté, ce qui limite sérieusement le risque de crédit, car ce dernier se trouve largement garanti par l’hypothèque prise sur l’immeuble concerné.
Pour les professionnels du secteur, la question est de savoir jusqu’où et jusqu’à quand prêter ? La réponse ne semble pas devoir être un « business as usual[8] » ni, à l’inverse, une interdiction aveugle. Elle réside dans l’adoption d’une attitude de responsabilité qui consiste à rendre le crédit accessible au plus grand nombre et à lutter contre le surendettement. Ces deux axes devraient être compatibles et inséparables, si l’on s’en donne les moyens techniques et la volonté. Ainsi, à ce jour la crise des subprimes s’est pas produite une fois déjà en Afrique[9] ; même si le système des prêts hypothécaires rechargeables n’existe pas à l’identique.
En revanche, il convient de rester vigilant car notre continent n’a pas été épargné par les effets secondaires de la crise. Non seulement, les épargnants ayant investi en des fonds soi-disant peu risqués, ont vu la valeur de leurs titres s’effondrer, mais les banques françaises ont à leur tour resserré l’octroi du crédit en raison de la crise de confiance sur le marché. Enfin, ces dernières ont été touchées et ont enregistré de lourdes pertes liées à cette crise du crédit. Cela montre combien nous vivons dans une économie mondialisée où les pays sont tous interdépendants. Aujourd’hui, aucune réponse ne peut venir du seul niveau national.
2. TROIS SÉRIES DE MESURES POURRAIENT ÊTRE MISES EN OEUVRE SIMULTANÉMENT
Dans le monde sans frontière qui caractérise les marchés financiers, une telle crise ne peut laisser indifférent. Elle a mis en évidence l’absence d’une instance financière de régulation au niveau mondial. Aujourd’hui il existe une addition de réglementations mais non un système de contrôle d’ensemble. Quelles institutions internationales, soutenues par les Etats, seraient capables d’établir et de faire appliquer des règles strictes ?
Une course de vitesse est engagée entre le développement spontané des activités financières et les Etats qui ne peuvent accepter que le libre jeu remette en cause des choix politiques ou sociaux.
Aussi est-il urgent que la maîtrise de l’économie financière soit renforcée pour rétablir la confiance entre les acteurs.
Cela suppose :
· Une meilleure réglementation des marchés financiers
· Des acteurs financiers recentrés sur l’économie
· Des épargnants qui résistent aux sirènes du rendement maximum.
Une meilleure réglementation des marchés financiers
La croissance économique est soutenue utilement par les financements offerts par les établissements financiers, mais l’action de ces derniers doit être aussi orientée vers le bien commun et non vers le rendement immédiat. Les institutions financières doivent s’obliger à proposer des crédits réellement adaptés aux besoins des emprunteurs et éviter de les mettre en péril.
La réglementation du marché du financement des particuliers doit les prémunir contre le "toujours plus" de crédit. À cet égard, la réglementation française sur le surendettement des ménages a été une avancée très positive.
Un deuxième exemple de réglementation du côté des organismes prêteurs a prouvé son efficacité. Il s’agit de l’instauration de règles prudentielles permettant de limiter le niveau d’engagement des banques en fonction de leur propre solidité financière. Elles sont tenues de disposer de fonds propres en proportion suffisante par rapport aux risques de crédit que comportent leurs opérations[10].
Reste à vérifier que ces règles soient adaptées[11] et que la pratique de la titrisation soit davantage encadrée.
L’enjeu est précisément une meilleure transparence des banques sur les risques qu’elles portent et sur ceux qu’elles font courir à leurs clients à travers les produits qu’elles leur proposent.
1. Des acteurs financiers recentrés sur l’économie
Selon l’observatoire de la Finance, « les progrès de la logique financière ont été facilités par la justification politique de la dérégulation[12] ». Le leitmotiv de l’efficacité fait de la rémunération du crédit un critère ultime d’action qui altère l’économie. Quand « la finance prétend être sa propre fin et n’est plus mue que par le désir exclusif de profit, elle perd la tête[13] ».
Les entreprises, en particulier les plus grandes, ont vocation naturelle à réaliser la création de richesses sur la longue durée, compte tenu des moyens importants en hommes et en équipement qu’elles doivent mettre en œuvre pour remplir leur objet social. Il importe donc de réorienter le marché financier vers l’économie productive et sa croissance modulée par les exigences environnementales. Avec la création de richesses, l’économie peut alors être mise au service de l’homme et contribuer à son développement.
2. Des investisseurs qui résistent aux sirènes du rendement maximum
La spéculation financière ne concerne pas seulement de grandes institutions et des individus fortunés. Tout épargnant, quelle que soit la taille de son portefeuille, y participe via les fonds de placement, les sicav, les contrats d’assurance-vie auxquels il souscrit.
L’épargne est un processus qui concerne toute personne ayant la possibilité de mettre un peu d’argent de coté.
Chacun doit alors s’interroger sur ses comportements lorsqu’il veut faire fructifier son épargne. La recherche du rendement le plus élevé et le plus rapide conduit à exercer une pression excessive et des contraintes déraisonnables sur l’outil économique en exigeant des entreprises des plans sociaux drastiques, une politique tournée vers la rentabilité à court terme, des restructurations….
Pour que l’épargne participe de manière positive à l’épanouissement de la société, il importe de promouvoir les placements en faveur des emprunteurs qui respectent des critères de solidarité et de responsabilité sociale. Ils s’inscrivent ainsi dans la perspective donnée par Jean Paul II : "Le profit est un régulateur dans la vie de l’entreprise, mais il n’en est pas le seul ; il faut y ajouter la prise en compte d’autres facteurs humains et moraux qui à long terme, sont au moins aussi essentiels pour la vie de l’entreprise[14]".
3. AU-DELÀ DE LA CRISE IMMOBILIÈRE, LA CRISE DES MATIÈRES PREMIÈRES
Au-delà des crédits "subprimes" la crise financière intervient dans un contexte économique marqué par une hausse considérable du prix des matières premières.
1. La flambée des prix des matières premières et ses causes
La hausse extraordinaire des prix des matières premières est le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs. C’est le fait que tous ces facteurs se soient manifestés au même moment qui explique la violence de la hausse. La plupart des analystes s’accordent à identifier cinq facteurs principaux :
1) La forte croissance de la demande
Entre 2001 et 2007, plus de la moitié de l’augmentation de la consommation de pétrole est imputable à la demande provenant de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient. Cela s’explique par l’urbanisation et l’industrialisation de ces pays, qui se sont nettement accélérées. Sont également concernés les métaux et certaines denrées alimentaires comme le blé, le maïs et le riz.
2) Le développement des biocarburants provenant des pays émergents
Les politiques incitatives menées en Afrique et surtout aux Etats-Unis en faveur de l’utilisation de l’éthanol (qui est produit à partir du maïs et de la canne à sucre) ont entraîné une forte hausse de la demande pour ce produit. Par ricochet, cela est venu accroître la demande pour les matières premières concernées. Aujourd’hui environ 25 % de la production de maïs est utilisée pour la fabrication de biocarburants.
3) Structurellement, l’ajustement de l’offre à la demande ne se fait pas facilement pour les matières premières.
En théorie, quand la demande pour un produit augmente, l’offre s’adapte par un accroissement des capacités de production. Cet ajustement de l’offre permet aux prix de rester stables. Pour les matières premières, il est très difficile d’adapter rapidement l’offre aux variations de la production. Que l’on pense aux difficultés nouvelles d’extraction du pétrole, et surtout au caractère aléatoire de la production agricole en dépendance des conditions climatiques. Certains analystes annoncent que la récolte 2008 sera difficile en raison de mauvaises conditions météorologiques et que cela pèsera à nouveau sur les prix.
4) La forte corrélation entre les différentes matières premières entraîne une diffusion de la hausse des prix à tout le marché
Illustration : la hausse de la demande d’éthanol entraîne une hausse du prix du maïs. Celle-ci se transmet ensuite aux denrées alimentaires qui utilisent le maïs dans leur chaîne de production (par exemple la viande, les volailles,…). De même la hausse du prix du pétrole se répercute dans les coûts de production agricoles et in fine sur le prix de vente.
5) Les matières premières sont devenues une cible très attractive pour les investisseurs financiers.
Tout d’abord il faut rappeler que les marchés financiers de matières premières (où l’on peut acheter et vendre des contrats d’achat à terme de blé ou de pétrole, sans jamais détenir ni utiliser réellement les produits en question) existent depuis des décennies. Les premiers marchés organisés furent d’ailleurs historiquement ceux des matières premières (à Chicago). À l’origine ces marchés étaient destinés aux professionnels du secteur. La nouveauté dans la situation actuelle est que ces marchés sont utilisés par des intervenants totalement extérieurs qui veulent investir sur les matières premières pour profiter de la hausse des prix. Ils effectuent donc des placements sur le blé ou le pétrole, plutôt que d’acheter des actions, des obligations ou des immeubles. Les matières premières sont pour eux une bonne source de diversification des investissements.
Il s’agit donc d’investisseurs institutionnels (compagnies d’assurances, fonds de pensions, instituts de prévoyance, banques,…) qui sont attirés par le potentiel de hausse de ces placements. Ce faisant, ils contribuent à accroître la demande et donc à tirer les prix vers le haut. D’autres acteurs purement spéculateurs viennent ensuite se greffer sur ce mouvement (fonds spéculatifs, etc.). Ils participent au mouvement et l’accélèrent. Ils contribuent ainsi à l’aggravation de la crise.
2. Remarques d’analyse
On note tout d’abord que les deux principales causes de la hausse des prix (§ 1 et 2) se résument à une hausse de la demande. Il s’agit bien là d’économie réelle et non d’une quelconque spéculation. Le fait déclencheur est que des populations (pays émergents) ou des industries (biocarburants dans les pays développés) ont soudain accru fortement leur demande de matières premières. L’origine de la hausse des prix est bien celle-là.
Il s’agit d’un mécanisme habituel et compréhensible. Il importe de souligner que la nouvelle demande provient de pays émergents qui accèdent enfin à un niveau de vie supérieur, ce que l’on ne saurait regretter. Les paragraphes 3, 4 et 5 sont des facteurs aggravants, qui amplifient le phénomène sans en être la cause principale. La spéculation en fait partie. La spéculation joue donc un rôle dans la crise actuelle, même si c’est un rôle d’ordre second. Elle amplifie le phénomène ; elle n’est pas à son origine.
Comme toujours, la réalité est complexe. Les émeutes de la faim manifestent une injustice terrible : les plus pauvres sont les perdants de la crise actuelle. Ils ne sont pas en mesure de bénéficier des aspects positifs de la hausse des prix. Car des aspects positifs existent pour certains. N’oublions pas que les pays producteurs de matières premières sont souvent des pays en développement (Amérique Latine, Asie, Afrique, Moyen-Orient). La hausse des prix profite à ces pays producteurs. Elle pénalise en revanche les consommateurs pauvres des pays non-producteurs et ceux des pays producteurs qui ne sont pas insérés dans le système économique local et ne bénéficient donc pas de la croissance.
On constate ainsi une réalité déjà mentionnée, dans l’économie mondialisée d’aujourd’hui, la croissance semble accroître les inégalités. La croissance est en soi positive, mais la richesse ainsi créée n’est pas également répartie et, par un effet d’accélération, certains engrangent des bénéfices toujours plus grands et les perdants se trouvent toujours plus repoussés à distance. En clair, le fossé se creuse. Le niveau moyen monte mais les écarts s’accroissent.
3. Quelques questions
Tout d’abord, la question du souci des plus pauvres. Cette crise est aussi injuste que le développement de l’économie en général depuis 20 ans. Elle en a les mêmes caractéristiques négatives avec en plus la violence d’une crise : elle accroît les inégalités. Une fois de plus, ce sont les plus faibles qui souffrent davantage. Comment les protéger ? La hausse des matières premières devrait profiter aux pays producteurs dont certains sont des pays émergents. Mais comment organiser une juste répartition des richesses produites ? L’accumulation de richesses considérables dans les pays producteurs de pétrole pour une faible densité de population résidente, pose à notre monde une question majeure.
La question fondamentale au sujet des matières premières notamment des denrées alimentaires (le cas du pétrole étant à part) est de savoir s’il s’agit de produits comme les autres ? La vie elle-même est en jeu quand on parle de biens destinés à nourrir les hommes. Cela n’impose un traitement particulier de la part des marchés financiers. La nature très particulière de ces biens nous de les protéger. Cela a d’ailleurs toujours été le cas : la politique européenne a d’abord été une politique agricole commune, consistant à protéger les activités agricoles et à encadrer leurs prix. Ne faudrait-il pas de même interdire certaines activités financières sur les denrées alimentaires, qui ne peuvent être un objet de spéculation comme un autre ? Ceci permettrait d’éviter que des phénomènes purement financiers ne viennent fausser la fixation des prix et les tirer artificiellement à la hausse.
Ces crises financières et alimentaires questionnent nos modes de vie. Il a pu apparaître que le développement des biocarburants allait permettre une amélioration de l’empreinte écologique sur l’environnement. Au terme de quelques années, on se rend compte que cela contribue à déstructurer les agricultures vivrières. Il est donc urgent de revoir cette politique. Plus globalement, le jour est arrivé de nous préparer à revoir à la baisse notre consommation d’énergie, nos habitudes alimentaires. Mais aussi et surtout de revoir la politique d’exportation des produits agricoles subventionnés vers les pays du Sud en favorisant davantage le développement des agricultures locales.
Père AKE Patrice Jean, Vice-président de l’UCAO-UUA
Pake.uua@ucao-cerao.org
[1] VARIAN (Hal, R.).- Introduction à la microéconomie (Belgique, De Boeck Université 2003), p. 7
[2] BANQUE MONDIALE.- Qualité de la croissance. (Belgique, De Boeck 2002), p. XXV
[3] BANQUE MONDIALE.- Qualité de la croissance. (Belgique, De Boeck 2002), p. XXV
[4] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (Paris, Cerf 2005), p. 207
[5] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (Paris, Cerf 2005), p. 207
[6] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise (Paris, Cerf 2005), p. 208
[7] VARIAN (Hal, R.).- Introduction à la microéconomie (Belgique, De Boeck Université 2003), p. 210.
[8] « Business as usual » : les affaires sont les affaires.
[9] Le cas de la Procure des Missions Africaines d’Abidjan en 2006-2007. Un certain Ryan, courtier en bourses, a fait de mauvais placements aux Etats-Unis avec l’argent de tous les prêtres de Côte-d’Ivoire. Le système financier de l’Eglise catholique de Côte d’Ivoire est en banqueroute. La Procure essaie, en vain des solutions neuves pour un sauvetage économique. Mais il y a un manque de confiance entre les acteurs et la banque.
[10] Ratio Cooke et aujourd’hui ratio Mc Donough (Bâle II).
[11] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise n° 369 (Paris, Cerf 2005), p. 207.
[12] Observatoire de la finance : Manifeste pour une finance au service du bien commun.
[13] CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX.- Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise n° 371(Paris, Cerf 2005), p. 208
[14] Jean Paul II - Encyclique Centesimus annus § 36 - 1991.