Résumé de la Communication
Nous pensons que la démocratie occidentale a échoué comme modèle unique de la démocratie à cause de l'échec même de la modernité (individualisme, rationalité, subjectivisme...) et aussi à cause de l'échec de toutes nos politiques africaines. Notre contribution à ce colloque "Démocratie, culture et développement à l'ère postcoloniale" s'inscrira dans l'axe: La démocratie: un concept universel, une problématique plurielle. La démocratie dans le système politique de Lodjoukrou est une démocratie africaine, d'une société lignagère à classes d'âge du Sud de la Côte d'Ivoire. Elle prendra comme (paradigme) modèle la société grecque antique et se présentera comme antimoderne. Pourrait-elle alors être une alternative à la démocratie moderne?
Mots clefs: Démocratie, africain, politique, antimoderne, modernité, alternative
INTRODUCTION
Par définition, la démocratie appartient à la typologie des régimes politiques et désigne le régime politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple. Elle apparaît comme un rempart contre l’arbitraire et l’autorité et est opposée au réactionnaire. Elle est en outre un effort perpétuel des gouvernés contre les abus du pouvoir. Cette définition pose problème en ce sens que la démocratie que nous connaissons aujourd’hui, est le fruit d’une longue et lente évolution qui est partie de la démocratie antique. Nous y reviendrons. Car notre thèse est la suivante : pour bien comprendre les difficultés de la démocratie moderne et contemporaine, il nous faut repartir à l’antiquité, à l’origine. Ainsi, notre plan comprendra deux parties : la première, les difficultés que connaît la démocratie moderne et contemporaine. La seconde, un retour à la démocratie antique, par le biais du système politique de Lodjoukrou.
· LES DIFFICULTES DE LA DEMOCRATIE MODERNE ET CONTEMPORAINE AUJOURD’HUI
Ce n’est pas la première fois que les hommes d’Eglise organisent des colloques sur la démocratie en Afrique. Les Assises Théologiques de l’UCAO, lors des années académiques 1992-1993, puis 1993-1994, ont, par deux fois, planché sur la question de la démocratie. Le premier colloque a été soutenu par la conférence magistrale du professeur Joseph Ki-Zerbo, sur « La démocratie en Afrique, sa place et son avenir sur le continent. » Vous trouvé l’intégralité de son texte dans la publication susmentionnée[1]. Cette réflexion a été poursuivie l’année suivante, par le professeur René Degny Ségui, sur « les expériences actuelles de la démocratie en Afrique ». Sa conférence et le débat enrichissant qui l’a suivi, ont fait l’objet d’une publication que nous mentionnons en bas de page[2].
Les développements récents de l’actualité dans le monde ont montré que partout la démocratie a du mal à éclore véritablement : l’expérience russe qui intervient militairement en Georgie, pour citer un exemple européen, et le partage du pouvoir au Zimbabwe entre l’opposition et Mugabé, sans oublier le coup d’Etat en Mauritanie sont là pour le prouver. Je préfère m’étendre davantage sur la Côte d’Ivoire qui en ce jour du 20 Septembre 2008, célèbre ses 6 années consécutives de sa belle petite guerre qui a vu une accalmie notable avec les accords de Ouagadougou. Si la tentative de Coup d’Etat est blâmable et est un acte anti-démocratique, la perte de la souveraineté de la Côte d’Ivoire qui est passée sous mandat onusien ne l’est pas moins. Cette deuxième situation demande un petit commentaire.
En effet, j’ai lu, pour la préparation de cette conférence, un texte de Guy Hermet, intitulé « Gouvernance sans doute, mais pas contre l’Etat démocratique »[3] qui montre comment la Côte d’Ivoire et à travers elle, tous nos pays africains portent des habits neufs ou souvent trop rapiécés de la démocratie. Dans cette gouvernance planétaire, menée par les Etats-Unis, il est fait peu cas à nos jeunes nations, au motif de leurs imperfections et de leurs performances discutables. Ce qui m’a frappé tout au long de la crise ivoirienne, c’est l’immodestie d’un certain G.T.I., qui était un porte-parole auto-proclamé de nos populations, et qui voulait démocratiser la gouvernance de notre pays. Comment parler de gouvernance dans un pays, sans souveraineté ?
Le second texte de Kazancigil Ali qui a pour titre « Apprivoiser la mondialisation : vers une régulation sociale et une gouvernance démocratique »[4] répond à notre précédente interrogation. La gouvernance est une forme d’administration où les frontières se sont estompées entre secteurs privé et public et aux seins de ceux-ci. Elle se caractérise par l’implication, dans le processus de formulation des politiques, de l’Etat et des autorités locales aussi bien que du milieu des affaires, des syndicats et des acteurs de la société civile tels que les ONG et les mouvements de citoyens. Toutes les parties intéressées participent à ce processus de prise de décision, qui est relativement horizontal et semblable à une négociation, par opposition au style de gouvernement traditionnel, plus hiérarchique. Toutefois, cette participation est loin d’être égalitaire, puisque certaines des parties intéressées ont beaucoup plus d’influence que d’autres sur les résultats. La gouvernance, ajoute l’auteur, s’adapte parfaitement aux exigences de la scène transnationale, où l’autorité centrale n’existe pas et où les parties impliquées – les Etats souverains, les sociétés transnationales, les organisations internationales et, plus récemment, les ONG – élaborent des systèmes de régulation et des politiques spécifiques aux problèmes posés par l’intermédiaire des négociations.
Jusqu’à présent la gouvernance a été fondée sur les principes d’efficacité et d’efficience. Et c’est surtout là son problème. Car, elle est un moyen apolitique d’élaborer une politique. Le GTI a voulu dissoudre toutes les institutions ivoiriennes(Le Gouvernement, l’Assemblée nationale, le Conseil économique et social…) Alors que vaut une démocratie, si les institutions représentatives n’existent pas. La démocratie, nous le savons, est basée sur la territorialité et les citoyens expriment leurs choix politiques dans les limites du territoire national. De plus, que vaut cette politique délibérative en démocratie ?
Dans le chapitre VII de son ouvrage Droit et Démocratie, entre faits et normes[5], traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz et Christian Bouchindhomme, paru en 1992, et intitulé « la politique délibérative – un concept procédural de démocratie, Jürgen Habermas, nous permet d’entrevoir quelques caractéristiques de la démocratie.
Dans un premier moment, le premier élément empiriste qui l’aide à construire une théorie normative de la démocratie est la légitimité où le pouvoir de l’Etat se manifeste à travers la stabilité de l’ordre qu’il assure. Ensuite, la démocratie se laisse percevoir par les règles du jeu qui président au scrutin universel, la concurrence des parties et la domination de la majorité. Aussi, d’une part, le parti au pouvoir n’essaie jamais de restreindre l’activité politique des citoyens ou des partis, tant que ceux-ci ne tentent pas de renverser le gouvernement par le moyen de la violence. D’autre part, les partis qui ont perdu les élections ne tentent jamais, ni par la force, ni par des moyens illégaux, d’empêcher le parti gagnant d’exercer ses fonctions. Dans ces conditions, une alternance pacifique du pouvoir est assurée.
L’autre élément empirique que nous observons dans une démocratie est l’esprit de concurrence qui tire sa légitimité d’un vote majoritaire obtenu au terme d’un scrutin libre, universel et secret.
La démocratie, en outre, signifie qu’une partie du peuple domine l’autre pendant une durée déterminée. En démocratie, il ne s’agit pas de découvrir la vérité objective des desseins politiques. Il s’agit plutôt de montrer les conditions d’une acceptation démocratique des fins poursuivies par les partis. En ce sens, les arguments politiques fonctionnent comme des supports publicitaires, ou des armes déjouant l’emploi de la force physique, plutôt que comme des assertions susceptibles d’être interprétés comme des contributions au développement de théories vraies. Les concepts à teneur normative, mais vagues, qui sont ceux de la confrontation politique ont une signification émotionnelle ; leur fonction consiste à motiver l’engagement des masses. Le discours politique, par ce biais, possède une fonction sociopsychologique, non une fonction cognitive. Le pouvoir politique est une affaire de compromis.
Un autre élément qui est important dans une démocratie est, comme nous l’avons souligné plus haut, celui de la souveraineté populaire. Il provient de l’appropriation et de la réévaluation républicaine d’une conception qui remonte aux débuts des Temps Modernes et que se rattachent d’abord au souverain d’un gouvernement absolutiste. L’Etat, qui détient le monopole des moyens permettant l’usage légitime de la force, est représenté comme un concentré de pouvoir capable de dominer toutes les autres puissances de ce monde. Que ce soit la vision républicaine ou la vision libérale, toutes ces deux visions adoptent la prémisse problématique d’une conception de l’Etat et de la société dont le point de départ est un modèle du tout et de ses parties, le tout étant constitué soit par les citoyens souverains, soit par une Constitution.
La démocratie de Lodjoukrou a un concept de démocratie fondé sur la théorie de la discussion. Elle suppose l’image d’une société décentrée qui crée toutefois, au moyen de l’espace public politique, une arène spécialement chargée de percevoir, d’identifier et de traiter les problèmes intéressant la société dans son ensemble. Ici, on n’a plus besoin de concentrer la souveraineté, de façon faussement concrète, dans le peuple, ni de la confiner dans l’anonymat des compétences définies par le droit constitutionnel. Le Soi de la communauté juridique qui s’organise elle-même est résorbé par les formes de communication asubjectives qui régulent la formation de l’opinion et la volonté au moyen de la discussion, de façon à ce que leurs résultats faillibles aient toutes les chances d’être raisonnables. L’idée de souveraineté du peuple est interprétée dans ce cas dans un sens intersubjectiviste.
Dans un second moment, Habermas décrit la société démocratique comme une société polycentrique composée de grandes organisations, où l’influence et le pouvoir politique passent entre les mains d’acteurs collectifs et sont de moins en moins susceptibles d’être acquis ou exercés par des individus associés.
La société démocratique est, ensuite, la multiplication des intérêts de groupe en concurrence les uns avec les autres, qui rend difficile une formation impartiale de la volonté. Elle est encore, la croissance des bureaucraties étatiques et des tâches publiques, qui favorise la domination des experts. Elle est enfin, l’incompréhension croissante entre les masses apathiques vis-à-vis des citoyens mis sous tutelle.
Pour tout récapituler, disons que la démocratie obéit à un certain nombre de règles qui sont les suivantes : elle a pour trame le contrat social et la volonté générale. Pour Rousseau, ce régime parfait ne convient pas aux hommes ; seul un peuple de dieux se gouvernerait démocratiquement. Un peuple d’hommes n’a pas assez de vertus pour cela. Elle est la forme de gouvernement dans laquelle le pouvoir exécutif est joint au pouvoir législatif. La démocratie n’est pas un modèle politique, mais le modèle du politique.
Le fait démocratique va de pair avec le développement de la société industrielle. Il est l’ombre portée de la haine que vouent les hommes à toute politique oppressive et despotique et répond à un besoin d’indépendance économique, à une soif de liberté politique qui va grandissant avec la maturation de la conscience civique. La démocratie n’est valable que si elle n’est pas un consentement passif au pouvoir. La démocratie obéit à d’autres règles comme la participation politique d’un nombre aussi élevé que possible de citoyens intéressés. Les droits habituels autorisent la communication et le choix parmi différents programmes et différents groupes dirigeants. Une autre règle est la protection de la sphère privée. Le contenu minimal de la démocratie tient en la garantie des libertés de base, l’existence de partis en concurrence, les élections périodiques au suffrage universel et les décisions qui sont prises collectivement, soit fondées sur le compromis, sur des débats ouverts entre les différentes factions ou sur les différents alliés de la coalition gouvernementale. Mais la démocratie présente des difficultés d’ordre philosophique et d’ordre politique.
Au plan philosophique déjà, au gré des époques, le mot démocratie a évolué selon que le « demos » change de sens. Par exemple au XVIe siècle, le terme peuple a eu une dignité politique et a désigné les masses populacières que l’ensemble des citoyens (Machiavel, Thomas More, la Boétie, Discours de la servitude volontaire en 1548). Le terme peuple a aussi désigné cette masse lourde et lâche qui obéit aveuglément ou encore un corps public actif et vigilant. Aussi du courage ou de la veulerie du peuple dépend le régime politique d’un Etat. Si nous restons toujours à l’époque moderne, le peuple ne désigne pas l’ensemble des citoyens mais, tantôt les grands seigneurs de France, tantôt le Parlement des trois Etats (le Roi, la Noblesse et le Peuple). Le peuple a la vocation a la souveraineté, il est une masse d’hommes politiquement peu évolués.
Au plan politique la démocratie offre des vertiges (démocratie libérale, démocratie populaire, démocratie représentative, démocratie gouvernée ou gouvernante, démocratie consentante.) Elle n’est pas un concept abstrait mais s’accroche à des réalités sociales et économiques dont elle est tributaire. Elle n’est pas un schéma d’organisation politique applicable abstraitement et universellement. Elle ne saurait être une monocratie populaire. La représentation et les procédures électorales sont d’une importance capitale dans un régime démocratique dans laquelle la vie parlementaire est un principe fondamental. Elle est finalement une philosophie, une manière de vivre, une religion et, presque accessoirement une forme de gouvernement. Le malaise actuel de la démocratie est que nous en avons oublié son origine.
· ORIGINE DE LA DEMOCRATIE ET SYSTEME POLITIQUE DE LODJOUKROU
A l’origine, la démocratie antique peut s’identifier à la démocratie solonienne. En effet, Solon, l’archonte d’Athènes en 593 a.C. est le père de la démocratie antique (début Vie jusqu’en 330 a.C.) Il voulait moins le pouvoir du peuple que l’harmonie de la cité. Il voulait que la polis ressemble au kosmos et qu’elle soit caractérisée par l’eumonia, c’est-à-dire, la cohésion de la vie quotidienne, par la résistance à toute hybris, par la mesure et la pondération. Ainsi la démocratie solonienne n’avait pas pour visée de donner le pouvoir au peuple, mais d’imposer aux eupatrides et au peuple des concessions réciproques. C’est cette démocratie originelle que nous voulons privilégier au détriment de celle qu’ont installé Clitshène(508-462) et Périclès(462-411).
La démocratie solonienne s’apparente à celle du système politique de Lodjoukrou décrit par Memel Harris Fôté[6]. Pour l’auteur, analyser la structure du système politique, c’est d’abord présupposer déterminée, la période de l’évolution de la société dont on fait l’analyse : c’est, ensuite, présupposer une différenciation interne de la société étudiée. En effet, la société כdzukru est considéré, ici, en son état de complexité le plus avancé, au moment où la colonisation française la surprend, à la fin du XIXe siècle. Dans cette société existe une notion du pouvoir, bien articulée avec les structures socio-politiques, une notion qui exprime et occulte à la fois ces structures, ce qui par conséquent justifie de l’intérieur une anthropologie objective. Une différenciation et une stratification spécifique caractérisent cette société. Etant donné que pour les כdzukru le pouvoir suppose la société et se confond avec elle, nous disons que la notion fondamentale à laquelle accède toute anthropologie sociale est celle d’εb.
La démocratie de l’כdzukru, c’est d’abord sa culture. L’εb est une réalité sociale qui n’est intelligible pour ce peuple qu’en termes de biologie sociale. On appelle, εb-εs, père ou propriétaire de l’εb, celui-là qui le premier a exploré et délimité un territoire, défriché la forêt, planté le tout premier arbre (εb-likŋ), construit les premières habitations, conquis sur la nature d’un geste quasi-absolu. Son acte de fondation, instaurateur d’une société nouvelle, paraît un acte vital, c’est-à-dire de fécondation et d’engendrement ; fécondation par un mâle d’une terre femelle et inculte, engendrement d’un nouvel état de choses sur la terre métamorphosée.
Or, de qui aime la bonne chère, apprécie le confort, recherche la toilette et s’adonne aux plaisirs des sens, on dit littéralement qu’il « mange εb . » En ce sens, εb désigne l’ensemble des biens matériels que recèle la vie sociale et dont les individus peuvent, au sens large de ce concept, se nourrir.
La conception nutritive de la culture qui s’y cache et le rôle essentiel de l’idée de bouche confirment le contenu biologique de la notion. Outre les valeurs d’ordre matériel, la notion connote des valeurs sociales, εb-ir, l’habiter, a un triple sens : matériel, social et moral. Dire de jeunes mariés qu’ils habitent l’εb, c’est signifier qu’ils sont matériellement établis dans leur propre maison, avec les ressources propres, instaurant avec leurs parents et la communauté de nouveaux rapports sociaux où l’autonomie le dispute de plus en plus à la dépendance. D’un point de vue moral, dire qu’ils ne savent pas « habiter l’εb » ou que leur manière de l’habiter est mauvaise, c’est passer condamnation sur des conduites en désaccord avec les normes de la vie sociale.
Les valeurs spirituelles, enfin, ne sont pas exclues de ces valeurs sociales. Le Droit est si essentiel à la constitution d’un εb que toute transgression des lois est interprétée comme un affront ou un piétinement infligé à l’εb lui-même. C’est qu’au fond, cette notion désigne davantage que la culture.
L’εb désigne ensuite la société. Un village c’est l’εb ; là où l’כdzukru met ses ressources, ses trésors, sa vraie demeure, là où se déroulent les cérémonies rituelles, où se tiennent les grands marchés, là où vient la loi, et où reposent les ancêtres et où sa vraie dépouille est appelée à reposer. Le citoyen adioukrou est l’εb-ij par rapport à l’étranger. La citoyenneté est donnée par la naissance ou par l’âge, ou par l’initiation. La chose publique est l’εb-owi, la loi, εb-ol et le pouvoir politique, εb-esew.
Nos aurions voulu nous étendre davantage sur la société adioukrou, mais la notion de vie politique[7] nous a semblé plus importante à relever. Sous cette notion, nous subsumons l’ensemble des activités et fonctions ayant pour enjeu la société, et dont l’accomplissement engage le pouvoir en rapport avec toutes les composantes de cette société et avec les pouvoirs étrangers. Dans la vision כdzukru, six notions principales regroupent ces activités et ces fonctions : εb-eb, εbgnimn, εb-כsus, εb-dogŋn, εb-kok, εb-akpaal. Elles postulent que la politique est une pratique sociale collective, dominée par des fins d’ordre ontologique, éthique et esthétique.
L’εb-eb est un rituel qui, par la transmission du pouvoir, confie la société à un petit nombre pour qu’il la dirige comme on dirige une pirogue sur l’eau (eb-jimn). La notion d’εb-kok connote toutes les activités et fonctions qui « produisent et reproduisent » (kok = faire) l’existence matérielle et spirituelle de la société : l’économie (production des richesses et reproduction de la population), l’éducation (formation civique, militaire et artistique d’hommes et de femmes mûrs), la justice et l’hygiène (préservation et accroissement de la sécurité, de l’équité et de la santé), la religion (relation avec les ancêtres et les dieux pour le succès de toutes les fins). A cette production et reproduction de la société par elle-même, la notion d’εb-akaal (saklp = beauté – bonté) apporte une norme : le bien et le bel-être. Par εb-כsu, les כdzukru entendent la surveillance de toute la société et de sa culture selon diverses modalités : politique, militaire, intellectuelle, magique. Quant à la notion d’εb-dogŋn, elle recouvre l’idée d’une lutte dont l’enjeu est justement l’existence, le développement et l’embellissement ontologiques de la société globale.
Comme nous le constatons chez les כdzukru, la source du pouvoir vient du peuple, de l’assemblée du peuple. Il s’agit de la réunion officielle et publique des citoyens aux fins de connaître et de décider des affaires d’intérêt commun. Cette démocratie montre que le pouvoir s’acquiert de façon pacifique tous les huit ans, au terme d’une initiation d’une classe d’âge. L’εb-eb politise le fondement du pouvoir. Nous retrouvons l’harmonie du pouvoir de la démocratie solonienne ici. La sacralité se relativise ici. L’eunomie ce sont les ancêtres et leur bénédiction. Mais en plus, une offrande est exigée par chaque candidat à l’εb-eb. Cette condition sine qua non se ramène à un appel au consensus populaire, base historique du pouvoir. Cette révolution démocratique s’accompagne d’un recul de la séniocratie politique. Ce sont des hommes mûrs, hommes de moins de 75 ans qui viennent au pouvoir chaque huit ans, et pour une période limitée. L’eunomie se prolonge aussi dans la fonction religieuse des gouvernants, car chez les כdzukru, la fonction religieuse est la fonction primordiale du pouvoir politique.
CONCLUSION
La démocratie solonienne qui, pour nous constitue le modèle de toute démocratie, a connu une fin tragique en 561, lorsqu’Aristrate a effectué un coup d’Etat pour installer la tyrannie et celle-ci s’est prolongée en 510 par Hippias et Hipparque. Puis Clisthène et Périclès ont installé de nouveau la démocratie. Mais cette nouvelle démocratie est restée trop théorique et trop formelle. Elle insiste trop sur la notion de souveraineté du peuple, au lieu de pencher vers l’harmonie de la cité. Bien sûr que la société adioukrou connaissait des inégalités avec l’existence de l’esclavage, mais celle-ci était bien intégré dans la cohésion sociale comme dans la démocratie solonnienne. La seule chose qui pour notre part manque encore à cette démocratie, c’est son ouverture au Transcendant. J’entends l’intégration d’une idée comme seule du bien commun comme seule critère valable pour l’instauration d’une vraie démocratie[8].
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Père AKE Patrice Jean
Pake.uua@ucao-cerao.org
[1] INSTITUT CATHOLIQUE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST.- Assises Théologiques. Démocratie en Afrique, Année Académique 1992-1993, pp. 13-44.
[2] INSTITUT CATHOLIQUE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST.- Assises Théologiques. Les Expériences actuelles de la Démocratie en Afrique, Année Académique 1993-1994, pp. 4-26.
[3] HERMET(Guy).- « Gouvernance sans doute, mais pas contre l’Etat démocratique » dans Démocratie et gouvernance mondiale. Quelles régulations pour le XXIè siècle ? (Ed. UNESCO-KARTHALA, Paris, 2003), pp. 35-47
[4] KAZANCIGIL(Ali).- « Apprivoiser la mondialisation : vers une régulation sociale et une gouvernance démocratique » dans Démocratie et gouvernance mondiale. Quelles régulations pour le XXIè siècle ? (Ed. UNESCO-KARTHALA, Paris, 2003), pp. 49-65.
[5] HABERMAS(Jürgen).- Droit et Démocratie, entre faits et normes (Paris, Gallimard 1997), pp. 311-354
[6] MEMEL(Harris Fôté).- Le système politique de Lodjoukrou. Une société lignagère à classes d’âge(Côte d’Ivoire) (Paris, Présence Africaine 1980, p. 116.
[7] MEMEL(Harris Fôté).- Le système politique de Lodjoukrou. Une société lignagère à classes d’âge(Côte d’Ivoire) (Paris, Présence Africaine 1980, p. 182.
[8] NOVAK(Michael).- Démocratie et bien commun (Paris, Cerf 1991), p. 162